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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 mars 2018

De l' APORIE : aporos pantoporos

 

"Pantoporos aporos ..." Plein de ressources, sans ressources, l'homme va. Poros c'est le lieu de passage, le moyen de franchir, d'accomplir, d'où ressource. Pantoporos signifie l'abondance de ressources, et aporos l'absence de ressources. C'est la condition de l'homme, à la fois industrieux, inventif, créateur de routes innombrables, et tout à la fois privé de tout recours.

"Face à la mort nous sommes tous une citadelle sans défense" (Epicure)

Dans l'allégorie que développe Platon sur la naissance d'Eros dans le Banquet, il dit qu'Eros est fils de Poros et de Penia, de Ressource et d'Indigence. Leçon qui prolonge indiscutablement la formule de Sophocle citée plus haut.

Dans l'univers animal c'est l'engendrement qui est la ressource de l'espèce pour contrecarrer la mort : l'individu, oeuvre faite, est voué à périr ; l'espèce continue, virtuellement immortelle. On peut dire que l'individu est sacrifié sans remords par le jeu impersonnel de la naissance et de la destruction.

Platon suggère qu'à l'engendrement biologique l'homme ajoute l'engendrement par l'esprit : le langage, les lois, les oeuvres, quasi immortalité assurée par la mémoire et l'écriture. L'individu, que rien n'empèche de mourir pour de bon, peut en quelque sorte survivre dans la mémoire collective, s'il a marqué son temps de son empreinte, comme font les héros, les législateurs, les grands stratèges, les poètes et les penseurs. Ceux-là ont exploré de nouvelles possibilités de vie, ouvert de nouveaux chemins, développé de nouvelles ressources : pantoporoi.

On se demandera si ce n'est pas parce que l'homme est aporos, privé de ressources, qu'il devient cet étrange poluporos qui transforme les conditions de la vie. Mais cela ne suffit pas, comme on voit chez l'animal. Il y faut la conscience, le savoir de la mortalité, et plus encore un langage symbolique par lequel l'homme se forge à lui-même ce savoir, le fasse exister dans une communauté et en tire les formes de l'action. Il aura fallu de très longs millénaires pour que ce savoir s'élabore comme tel dans une langue, dans une combinatoire efficace, par laquelle les objets, pensés, nommés et connus, devinssent les éléments d'un agir collectif et opératoire. Dans le même temps on inventa des mythes pour combler le vide sidéral de l'ignorance.

Mais les ressources d'un temps s'épuisent avec le temps. Il faut en inventer de nouvelles. A chaque époque de transition on  se demande : que pouvons-nous garder du passé ? que faut-il abandonner ? que faut-il inventer ? Nous pressentons obscurément que le passé nous traîne en arrière, sans voir encore comment agir dans le futur. C'est un autre aspect de l'aporie - cette absence de ressources, cette hésitation, cet embarras, que ne connaît pas l'instinct, et qui se creuse dans la conscience d'un être privé d'être, voué à l'indétermination, à l'errement, à l'essai, à l'exploration, aux succès et aux ratages.

Il est au bout du compte impossible de juger de l'homme. Le mot de Sophocle nous plonge dans un abîme d'incertitude, alors que son propos était plutôt de louer l'inventivité humaine. De tout ce que l'homme a produit dans l'histoire on peut juger au pire et au meilleur, mais dans ce long processus on peut voir aussi la marque d'une implacable nécessité : une fois lancé le processus court de lui-même, "sponte sua", selon son inclinaison fatale, jusqu'à ce que la planète, excédée, n'ensevelisse nos cendres dans la profondeur, comme elle fit d'innombrables espèces avant nous.

 

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