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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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28 novembre 2017

Du VOULOIR VIVRE et du REEL

 

Selon une légende ancienne Dionysos se contemplant dans le miroir y voit le monde, parce qu'il est le monde. N'en est-il pas ainsi de chacun de nous ? Nous voyons ce que nous sommes, au sens le plus large. Nous croyons voir le monde tel qu'il est - mais comment pourrions nous savoir et voir ce qui est hors de nous -  nous ne voyons qu'une image, et dès lors, comment distinguer ce qui est image et ce qui est réalité ? Schopenhauer disait : le monde est ma représentation. Tout ce que je perçois est conditionné, organisé par la structure de mon cerveau : sensations, perception, espace et temps, liaisons causales, re-présentation : voile de Maya. Par la raison raisonnante je ne puis accéder à la réalité. Pourtant ce monde existe bien en quelque manière puisque moi-même j'y existe. Mais cette existence est une énigme. Le génie de Schopenhauer aura été de déchiffrer cette énigme, en déplaçant le centre de gravité : au lieu de chercher une issue impossible du côté de la représentation, il va sonder les profondeurs et découvre en soi un principe évident qui soutend toute manifestation vitale, énergie sans cause ni finalité autre que sa propre perpétuation, qu'il appellera "vouloir-vivre". Le vouloir vivre est du réel à l'état pur, présent sous mille formes diverses, qui toutes se ramènent à une unique exigence absolue : se maintenir et se perpétuer à l'infini. Mais toute forme vitale, qui possède en elle cette énergie, se heurte à celle des autres formes, si bien que l'unique vouloir-vivre universel se divise en milliards de singuarités vitales, qui luttent les unes contre les autres, chacune pour son propre compte, lutte à la vie à la mort. Tout en se divisant de la sorte le vouloir-vivre n'en conserve pas moins, dans chaque forme particulière, la plénitude de sa puissance. Elle est à la fois une et multiple, unique et divisée. Elle ne s'épuise jamais, poursuivant à l'infini son activité productive et reproductive. Elle se répète à l'infini, volonté aveugle, cause unique, première et dernière.

On peut discuter la définition que donne Schopenhauer, contester tel aspect de sa doctrine, par exemple sa conception de la répétition, en estimant que si la nature répète elle est aussi capable de créer des formes nouvelles (Lucrèce). L'essentiel est d'avoir donné une direction inédite à la question de la connaissance : si ne vois qu'une image (du monde), si cette image est conditionnée par des causes sur lesquelles nous n'avons pas le moyen d'agir (nous ne verrons jamais le monde tel que la mouche ou la dauphin le voient), si la science elle-même, en dépit de ses progrès extraordinaires, ne nous permet pas de voir la chose en soi, telle qu'elle existe en soi et par soi, si nous sommes à jamais enfermés dans les limites infranchissables de la raison, il n'en faut pas moins poser qu'il y a du réel, un réel inconnaissable sans doute, mais existant en quelque manière, dont la réalité, bien qu'inconnaissable, détermine notre être dans le monde.

Pour le dire autrement : je ne connais pas le réel, mais je peux le penser - en veillant à ne pas retomber dans les vieilles lunes, comme substance, être ou non-être, étant, ou être de l'étant, etc. Poser et penser ce qui se dérobe à toute explicitation, voilà qui n'est pas commode. En Orient on dit "vacuité", terme privatif, qui élimine tout contenu explicite, qui ne se ramène pas au non-être, ni au néant, mais qui implique (contient dans ses plis) l'origine et le déploiement universels. "Au début était Chaos...". Il y est toujours.

Me détournant de l'énigme du monde, comme Schopenhauer, je considère mon corps : non le corps représenté (dans le regard ou dans le miroir), ni le corps biologique (atomes, molécules, tissus, organes, systèmes, fonctions etc) qui ne sont que des modèles de représentation, mais le corps irréprésentable de l'énergie, par où corps et psyché ne sont qu'une seule et même réalité, laquelle plonge mystérieusement dans la réalité cosmique. Groddeck dirait : le ça, à la fois singulier, propre à chacun, et universel, s'il est entendu que le ça constitue, comme ultime signifiant prononçable, la porte close-ouverte sur l'énigme.

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Commentaires
S
Je vous remercie pour la singularité et la qualité de vos partages.<br /> <br /> Nous évoluons dans un système de représentations d’un réel insaisissable. Pour autant, il ne s’agit pas de nier le réel comme pourrait l’entrainer une amplification hyperbolique de la notion de représentations qui nous emmènerait sur les rivages de Matrix, de la quatrième dimension ou de la déréalisation, qui, pour cette dernière notamment, n’ont rien de rivages balnéaires où tout serait « luxe, calme et volupté ». Nous ne sommes pas non plus notre cerveau. <br /> <br /> « penser et poser ce qui se dérobe » n’est certes pas commode mais doit nous permettre d’éviter de prendre toutes les vessies pour des lanternes. Il me semble aussi que notre attention au vivant en est aussi moins parasité, plus sensible à l’entre-deux, sans ésotérisme à deux balles . L’art, l’écriture, la poésie dessinent les contours de cet entre-deux et résonnent plus avec notre intuition qu’avec notre raison. <br /> <br /> Il y a cet élan vital qui se déploie de nulle part à l’infini. Je pense aussi que le progrès ne nous ouvrira jamais la porte de l’énigme cadenassée par les limites de notre raison. Un temps, j’ai cherché la clef mais, au fond, sans jamais trop y croire. L’acceptation d’une vie sans raison, sans justification, gratuite est compatible avec la jouissance d’être, la joie. N’en est-elle pas même une condition ?
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B
Bsr , cela sera toujours une énigme ...
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