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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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5 janvier 2018

AUTOPORTRAIT : poésie 10 (nouvelle version)

 

 

                           AUTOPORTRAIT

 

                                                      Poésie 10

 

 

 

 

                      PRELUDE     

 

 

     Il fut le premier, le dieu

     A me déchirer les entrailles, quand vint

     L'heure de la parturition.

 

 

     Et depuis lors, de jour en jour,

     Se creuse la fêlure

     Que rien ne cicatrise, et que nul

     Savoir ne peut résoudre.

 

 

                   

              ESQUISSES d'AUTOPORTRAIT

 

                                I

 

Portrait du poète sur pied : il se tient debout, légèrement voûté, le regard à demi, tantôt errant à l’entour, sans rien fixer de particulier, tantôt comme replié, retourné vers l’intérieur, à se perdre dans l’illimité. Ici, il est d’ailleurs, jamais tout à fait ici, absenté peut-être, en quelque arrière-pays de mousse et de collines, à suivre le vol d’un vautour, ou à caresser du regard la courbe onduleuse d’un nuage. On le dit rêveur, mais il est pleinement celui qu’il est, quand le rêve lui-même est encore une occasion, une tentation de poétiser.             

Jusque dans le rêve la musique des mots le hante. Pour un peu, comme Schumann excédé par la mélodie qui le poursuit, il se jetterait quelque jour dans le Rhin, mais comment savoir ? Les eaux du fleuve aussi ont leur musique, insistante, imparable… Non, il n’est pas d’échappatoire possible, il faut cohabiter avec le démon, l’apprivoiser si possible, jouer avec lui, comme fit Héraclite, aux osselets,  à la porte du temple.

Le poète est un fou du langage, comme d’autres sont fous de Dieu, ou de la forme, ou du marbre. Folie de la beauté, sublime, éreintante folie.

Mais je veux le voir dans son ordinaire : rien ne le distingue des autres hommes, ni vêture, ni allure, pas même son parler. Le plus célèbre d’entre eux vécut trente-six ans dans une tour, presque sans sortir. Parfois, pour honorer un visiteur, ou pour s’en débarrasser à peu de frais, il griffonnait un rapide poème sur un bout de papier, qu’il signait d’un nom de fantaisie. Même le nom propre finit par se dissoudre sous le feu du langage. A la fin, tout à la fin, le poète n’est plus que poème. Et le reste perd alors toute importance.

                   

                                II

                            

Parfois le langage lui-même semble se dérober. Une puissance obscure défait l'ordre commun, abolit la phrase, désorganise les liens, ruine la signification. L'asymbolie menace, et avec elle la folie du silence.

Alors ne restent, comme des îlots surnageant à la surface de la mer, que des mots isolés, déconnectés, mots-images qui ne renvoient à rien de connu, de repérable, infiniment énigmatiques, fermés sur eux-mêmes, germes cadenacés, gemmes, perles, éléments ultimes d'un dire qui trébuche aux portes de la nuit. C'est peu de chose, mais cela suffit : les mettre côte à côte, et voilà le poème.

Nuit, barques sur la mer, aube pâle. Voilà qui suffit.

L'origine du poème c'est en même temps le poème. S'il peut signifier quelque chose ce ne peut être de l'ordre de la perception courante. Il ne peint pas, ne décrit pas, ne montre pas, ne cache pas, mais comme l'oracle à Delphes il fait signe, vers quoi ? Vers l'origine d'où il s'est détaché. Dans les bribes d'une parole désarticulée, à la frontière de l'aphasie, il fait signe vers ce qui précède toute parole.

C'est là le principe exclusif de la poésie, inconnu aux autres formes de littérature : de se tenir entre les deux mondes, entre l'indicible et le dicible. Dicible tout en nuances, qui ne fait jamais somme, fragmenté, émietté, toujours à reprendre dès le commencement, à jamais insaisissable.

 

 

                                       III

 

Et à d'autres moments, de la source ça coule, source blanche, invisible, ça coule en ruisseaux, flux paisible, presque comique, poésie toujours, allègre, rustique ou mélancolique, mais vérace toujours. Il suffit de ne pas poser, de ne pas tricher, et la poésie va. C'est là le régime moyen, ni trop haut ni trop bas : la source parle encore, mais déjà la voix se fait moins distincte, déjà s'efface à demi la leçon de l'origine. Poésie familière, ton élégiaque ou narratif, quasi automnal : on recueille hâtivement la récolte avant le gel. Encore un pas et l'on sera dans la plate prose. Péril de l'équilibre instable, entre l'aphasie et le verbiage.

C'est la difficulté propre d'une poésie autobiographique.

                          

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