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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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30 mai 2017

LEçONS de DESUBJECTIVATION

 

Energeia : puissance active, force dans l'action, énergie. Il faut insister sur le "en", qui exprime la dimension intérieure (dedans), à partir de laquelle se déploie l'ergon, l'activité. Cette puissance je l'expérimente essentiellement dans les mouvements corporels, qui sont à vrai dire le moyen privilégié de mon rapport au monde. Il se trouve que j'ai la chance d'aimer beaucoup la pratique physique, ce qui me resitue efficacement dans l'espace et le temps, sans quoi je risquerais fort de me perdre dans un océan de pensée, où les rapports se défont trop facilement au profit d'une rêverie stérile - ce qu'exprime fort bien le mot allemand Schwärmerei.

L'energeia est fortement déterminée par le rythme respiratoire : inspirer c'est prendre de l'énergie, expirer c'est la déployer au dehors. Je prends, je donne. C'est le mouvement fondamental de la vie. C'est reconnaître aussi que par soi on ne peut pas grand chose, que l'essentiel de la puissance vient du dehors, de l'air ambiant, des qualités chimiques éparses, des atomes que l'on inhale sans y prêter la moindre attention. Respirant, je me nourris d'innombrables corps subtils qui ont existé avant moi, dans un continuum remarquable. Il y a quelque raison valable à estimer, avec Bouddha, que nous ne sommes pas cette entité close que nous croyons être, mais bien plutôt un flux ininterrompu qui était avant nous et qui continue avec et après nous. A vrai dire je me demande où est la fameuse frontière du moi, où je commence et où je finis, et si de telles questions ont un sens. D'une certaine manière j'étais avant d'être et je suis alors que je ne suis plus, ce qui ne paraît absurde qu'au regard de la pensée logique. Le plus troublant c'est qu'on puisse à la fois et en même temps affirmer qu'on est un individu séparé, qui naît et meurt une fois pour toutes, et que l'individualité est une illusion, fondue dans le continuum transpersonnel.

Si l'on veut comprendre les pensées de l'Inde, et du Bouddhisme en particulier, il faut commencer par suspendre la conception occidentale du moi autocentré, fermé sur soi, qui pourtant nous semble notre bien le plus précieux. On ne peut le faire par la méthode rationnelle, pour laquelle A = A, en excluant une tierce possibilité. Mais on peut s'approcher de cette intuition par des pratiques psychocorporelles dans lesquelles on expérimente une décentration physique et mentale qui nous met en relation avec le flux universel. Techniquement, cela demande de descendre en ondes alpha, ce qui se fait aisément en relaxation, puis en méditation. Une autre conscience se fait jour où les murailles de l'identité peuvent se desserrer, laissant venir des impressions toutes autres  : le petit moi souffrant, recroquevillé sur ses obsessions identitaires et narcissiques, suspend sa tyrannie, au moins pour un temps, laissant venir quelque chose d'un savoir tout autre, d'une qualité de paix qui ne se donne qu'au prix d'un certain abandon.

Dans certaines rêveries où l'on se laisse aller sans souci et sans intention, tout un chacun peut faire l'expérience de ce décentrement, qui, s'il est provisoire, s'il ne dure guère, a au moins le mértie de nous rappeler à l'évidence de notre véritable position dans le monde. A ces moments nous retrouvons la profonde pensée de Pindare :

     "Ephémères ! Etre quelqu'un ? N'être personne ? Rêve d'un ombre

      Est l'homme". ( Huitième Pythique, 95-96)

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