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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 février 2017

EPICURE MEDECIN

 

Il me semble tout à fait impropre de parler d'une "morale" épicurienne. Le discours d'Epicure n'est pas moral, mais médical. Il déclare expressément que la philosophie est "la médecine de l'âme", que c'est là sa raison d'être, et que le projet du philosophe est de combattre la souffrance : "aponie", absence de douleur physique, laquelle relève de la médecine des corps, et "ataraxie", absence de troubles dans l'âme, qui relève de la philosophie. Que les moyens qu'il propose - en un temps où n'existait pas encore la chimie scientifique - puissent paraître insuffisants, cela n'enlève rien à la noble intention de soulager l'être souffrant, que nous sommes tous peu ou prou. Il procède, comme le médecin, par répérage des symptômes, analyse généalogique (d'où viennent les troubles), diagnostic, et prescription de remèdes. Que ces remèdes puissent paraître un peu rudes, voire ascétiques (tempérance, réduction des désirs) c'est à chacun de déterminer l'ampleur et l'intensité de la pharmacopée, en fonction de la gravité des troubles. En tous cas je ne vois là rien qui ressortirait à une condamnation morale ou à une culpabilisation : le plaisir est un bien en soi, c'est son usage qui peut être source de malheur., à la manière d'un aliment qui nourrit le corps en proportion juste, mais le pourrit par l'abondance et l'immodération. De même pour les plaisirs sexuels, qui, en soi, n'ont rien de condamnables, mais qui peuvent gâter la santé par l'excès, ou aliéner la liberté par l'attachement passionnel.

Relisons cette étonnante maxime : "Si les choses qui produisent les plaisirs des gens disssolus dissipaient les craintes de l'esprit au sujet des phénomènes célestes, de la mort et des douleurs, et enseignaient en outre la limite des désirs, nous n'aurions rien à leur reprocher, à eux comblés de plaisir de toute part, et ne recevant de nulle part ni la douleur ni le chagrin, ce qui est précisément le mal" (Maxime Capitale, X)

"Nous n'aurions rien à leur reprocher" ... Aucune condamnation morale. Si la débauche nous rendait heureux nous aurions raison de choisir la débauche ! Les Chrétiens ne s'y tromperont pas, qui traîneront Epicure dans la boue, comme les vertueux de toute farine. Les débauchés ne sont pas moralement coupables, simplement ils se trompent de régime, comme les goinfres, les alcooliques, les drogués et la cohorte des gens qui s'imaginent que le plaisir n'a pas de limite physiologique, et qu'on peut reporter à l'infini les bornes de la jouissance. Dans un langage plus moderne je dirais qu'Epicure énonce la loi du réel : le corps a des capacités finies, la jouissance est partielle, mais réelle, et l'on peut expérimenter un bonheur à notre mesure, à la condition expresse de renoncer à l'illimité. D'où cette insistance sur les "limites de la chair" opposées aux rêves d'un désir illimité - exprimés dans le vocable cent fois répété d'"opinion creuse" ou d'"opinion vide". En fait ce n'est pas le corps qui est malade, il connaît parfaitement ses possibilités et ses limites, c'est l'esprit avide d'absolu, de pouvoir, de puissance, et de jouissance illimitée qui rend le corps malade en détériorant son équilibre naturel. D'où l'évocation, peut-être irritante, d'un régime de tempérance, d'une thérapeutique de la modération, d'une hygiène de la retenue.

Je ne sais si par ces mesures on peut atteindre l'ataraxie. Moi même je n'y parviens pas. Mais l'état actuel de la médecine, et de la psychiatrie, met à notre disposition de puissants moyens de corriger les aléas de l'humeur, dont nous savons aujourd'hui qu'ils puisent leur source dans des déséquiibres très profonds de la mécanique cervicale, et que les remèdes classiques ne peuvent corriger. Nulle conscience, nulle volonté, nulle connaissance psychologique ne peuvent y rémédier - pas même la psychanalyse. Il y faut l'action chimique. Je serais porté à penser qu'Epicure lui-même, s'il vivait aujourd'hui, n'hésiterait pas à recommander l'usage des psychotropes s'il est patent qu'eux seuls puissent réduire la douleur. Ici encore, nulle préoccupation morale : raisonnons en médecin. La douleur est un mal, et de plus inutile et toxique, capable de transformer la vie en cauchemar. Alors n'hésitons pas à prendre les seuls remèdes qui nous rendent l'existence supportable.

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Commentaires
G
Epicure distingue soigneusement ce qui relève de la nécessité (naturelle), ce qui relève du hasard (l'imprévisible) et ce qui relève de la liberté : le choix conscient. Votre analyse me semble par moments interférer les plans de réflexion, à côté d'autres éléments tout à fait intéressants.
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J
Bonsoir Mr Karl,<br /> <br /> Les épicuriens ne prononcent effectivement aucun jugement moral sur la conduite des hommes : cela ne les intéresse pas!<br /> <br /> Mais pour atteindre l'ataraxie, il existe une méthode plus simple : comprendre que ce qui arrive est nécessaire et non contingent. Je ne suis libre que si je veux ce que je désire, que si je me connais vraiment et surtout. Aussi, pour que cela soit possible, il faut réaliser qu'il n'existe aucun "libre arbitre" ou notion de "responsabilité" dans la nature. <br /> <br /> Ainsi, je ne suis plus contraint par mes affects, mais je dis oui à la vie. Je ne culpabilise plus pour ce que je suis, je n'ai plus de remords ou de pitié et je relativise lorsqu'il m'arrive quelque chose de fâcheux. Adieu les fameuses passions tristes dont parle Spinoza!!<br /> <br /> Ce genre d'amoralisme permettrait aux gens de guérir de leur pathologie mentales et de vivre plus sainement avec autrui, sans contracter une idéologie!
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G
Il me semble que chacun a pu amplement s'exprimer sur le sujet. Dès lors c'est au lecteur de reprendre pour soi la problématique et de s'en servir à son gré.
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F
Cher Guy, Cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> Sagesse ou médecine de l’âme, la doctrine d’Épicure qui prône l’ataraxie, n’est pas concevable sans un principe directeur — ou législateur : la raison. C’est la raison — en l’occurrence celle du maître — qui prescrit les remèdes. <br /> <br /> <br /> <br /> Régime ou bonne conduite, l’éthique d’Épicure suppose une distinction, toujours rationnelle, du bon et du mauvais sur laquelle elle doit se régler. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Je parle quant à moi de morale au sens culpabilisant du terme, non seulement parce que j’ai la manie d’appeler un chat un chat, mais parce que le maître du Jardin lui-même n’a de cesse de marteler l’expression : « Il faut ». « Il te faut philosopher », « Il te faut méditer », « Il faut te persuader », etc. Du « Il faut » au « Tu dois », la frontière est vite franchie. J’ajouterai que c’est quand elle s’adosse au « Il faut » plutôt qu’au « Tu dois » que la morale est la plus normative — le devoir, conjoncturel, ayant moins de pouvoir d’intimidation aux yeux de celui qu’il faut sermonner que l’argument de la nécessité. <br /> <br /> <br /> <br /> Cher Démocrite, il est évident que la volonté de culpabiliser l’homme vulgaire obsédait les philosophes antiques bien avant les chrétiens. <br /> <br /> <br /> <br /> Antisthène et Diogène admonestaient leurs concitoyens parce qu’ils ne vivaient pas selon la nature. <br /> <br /> <br /> <br /> Platon inventa un Calliclès pour dénoncer la tyrannie des désirs. <br /> <br /> <br /> <br /> Zénon (admirateur des Cyniques) s’en prenait physiquement aux Athéniens qu’il jugeait dépravés et à ses disciples indisciplinés. <br /> <br /> <br /> <br /> Épicure (d’accord avec Platon sur la question de la réglementation des désirs) tança Ménécée qu’il trouvait mou du genou quant à son observance des articles de la doctrine. <br /> <br /> <br /> <br /> À vrai dire, je ne suis pas loin de penser que l’impopularité des philosophes n’était pas seulement imputable à leur exigence intellectuelle, version qui plaît tant à notre sensibilité moderne, mais, en réalité, à leur puritanisme tapageur.<br /> <br /> <br /> <br /> Tous prônaient non pas un modèle de vie bonne mais un bon modèle de vie. Il n’y eut qu’Aristote qui, me semble-t-il, échappa à ce moralisme avec sa théorie de la médiocrité qu’il savait difficile autant que rare. <br /> <br /> <br /> <br /> La preuve fiable que les philosophes étaient perçus comme des donneurs de leçons, reste le succulent « Philosophes à l’encan » de Lucien de Samosate, écrit à une époque où les chrétiens débutaient à peine leur carrière de prêcheurs et de martyrs. <br /> <br /> <br /> <br /> Je terminerai ma trop longue contribution à notre disputatio matinale en citant notre Montaigne : « À quoi bon faire ces pointes élevées de la philosophie sur lesquelles aucun être humain ne se peut rasseoir et ces règles qui excèdent notre usage et notre force ? Je vois souvent qu’on nous propose des images de vie, lesquelles ni le proposant ni les auditeurs n’ont aucune espérance de suivre, ni, qui plus est, envie »<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous deux,<br /> <br /> <br /> <br /> FS<br /> <br /> <br /> <br /> P.S. : Oïkonomos… Gestion ? Pas seulement, comme le signale le terme "nomos", la loi, qui renvoie à l'idée d'un gouvernement de soi.
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G
En effet. L'économie c'est étymologiquement la gestion de la maison (oikos), maison du moi ( et du Jardin) et de la maison publique : un point de vue essentiellement pratique.
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