DU COMIQUE
Il faut avoir le sens du comique ! C'est encore ce qui nous sauve quand tout semble virer au dérisoire, ou à la dériliction. Il y a un degré dans la mauvaise foi, ou dans le mensonge, qui par son excès même, opère un renversement, par où le comique fait exploser la scène. Comique et tragique communient à la même source, contrairement aux apparences, et ne diffèrent que par le pathos. Au total il vaut mieux rire que pleurer, cela dilate les artères et ventile abondamment les poumons.
L'époque présente ne prête guère à rire, et c'est une raison supplémentaire pour en rire ! La Bruyère écrivait : "Il faut rire avant que d'être heureux de peur de mourir sans avoir ri !".
Commençons par rire de nous-même, de nos petits malheurs, de nos obsessions, de nos tics et de nos tocs, car autrement comment les supporterons-nous? Il serait fâcheux de ne plus pouvoir se supporter soi-même, de s'enliser dans sa tristesse : rire c'est voir d'un seul coup la mécanique et s'en affranchir.
Cela revient toujours direz-vous, eh bien rions de plus belle.
Démocrite, selon la légende, riait de tout et de tous, n'exceptait personne, pas même lui. On le tenait pour fou, mais c'était le plus sage des hommes. Sa thérapie est de tous les temps, et valable à tous usages. (Lire : Du rire et de la folie, collection Rivages).
Epicure, qui n'est pas spécialement un drôle, retient de Démocrite cette leçon : "Il faut tout ensemble rire et philosopher". J'aime imaginer une séance du Jardin où les amis philosophes s'esclaffent bruyamment à l'évocation des ambitions politiques de Platon, réduit en esclavage à la suite de son aventure en Sicile, et, revenu à Athènes, collectant force ouvrages sur la constitution idéale. C'est quoi la constitution idéale quand les hommes sont ce qu'ils sont, avides, rongés de désirs insatiables, et tremblants devant la mort ? Rire et philosopher, même distanciation critique, même renversement des valeurs, même échappée vers le grand large.
Dans la sculpture archaïque on peut voir de jeunes hommes et des jeunes femmes au visage rieur, cheveux bouclés et frisés, qui contemplent le monde comme un spectacle agréable aux dieux, digne d'être représenté au théâtre, fait pour réjouir tous les spectateurs. Ou des faunes paillards, ithiphalliques, égrillards. C'est une autre version de l'hellénisme, moins académique, et qu'Aristophane saura faire briller. Rappelons pour finir que lors des concours de tragédie, aux grandes Dionysies, le poète devait présenter trois tragédies suivies, et pour finir une pièce comique. En toute rigueur, pour la santé publique, le tragique devait à la fin se renverser en comique. Belle leçon de sagesse.