ASSEMBLAGES : Héraclite
Ce court fragment : "assemblages : entiers et non entiers" (sullapsiès : hola kai ouk hola), correctement interrogé, nous mènera au coeur de la pensée d'Héraclite. Il suffit de prendre les mots tels qu'ils sont, et de peser leurs rapports, en écartant toute interprétation tendancieuse.
"Assemblages" caractérise les "panta", tous les êtres qui sont, tous les corps, tous assemblages de parties, de fragments, d'éléments constitutifs.
Ils sont "entiers", comme est une biche, une cruche, un homme. " Entiers" vient d'abord parce que c'est la leçon de la perception sensible. L'entièreté de la cruche est une évidence, sans laquelle elle n'est pas une cruche. Nulle perspective métaphysique n'est ici nécessaire, il suffit d'ouvrir les yeux.
Ce qui pose problème c'est l'énonciation des contraires, familière à Héraclite : entier et pas entier, jour et nuit, immortel et mortel etc. Ici cette contrariété porte sur la nature de l'assemblage, qui est percu d'emblée comme entier (un) mais qui est aussi non-entier, en même temps l'un et l'autre, et même nécessairement l'un parce qu'il est l'autre, et réciproquement. La cruche n'est cruche que parce qu'elle est vide en son centre, la biche n'est biche que parce qu'elle comprend l'espace d'un manque où vient la nourriture, l'air etc, composition de plein et de vide qui fait la vie. De même pour tous les organismes, végétaux, animaux, humains. L'assemblage "tient" parce qu'il est entier et non entier, selon un rapport croisé qui fait sa nature propre.
Le jeu des contraires n'est pas, piur héraclite, une amusette destiné à provoquer l'ébahissement. C'est une invitation à accueillir la perception, à distinguer les éléments antithétiques dans leur nature propre, puis à penser l'unité invisible qui les lie dans la nécessité de nature. Lecture ouvrante, sans spéculation gratuite, à ras des choses.