LAICITE : l 'Etat et la croyance.
De tous côtés on entend le grondement sinistre de la réaction en marche. Pour ceux qui, comme moi, ont connu les belles années de la liberté retrouvée, dans le dernier tiers du siècle précédent, quand tout semblait possible, accessible, et comme offert au désir, ce qui se passe depuis le début de ce siècle nouveau sonne étrangement à nos oreilles, et ne laisse pas de nous inspirer inquiétude et dégoût. Qu'avons-nous de commun avec les tristes sires qui veulent nous imposr un retour à des "valeurs" supposées éternelles, et qui ne sont que le produit éventé d'un remâchage réactif et mortifère ? Certes il y eut parfois quelques abus dans l'exercice de la liberté, mais c'étaient là les polissonneries d'un esprit débridé, juvénile, mal éclairé sur les droits et les devoirs. Cela ne justifie en rien un retour de bâton, encore moins du sabre et du goupillon. Tous les prétextes sont bons, aujourd'hui, pour serrer la vis, restreindre les libertés publiques et individuelles, mettre en place une surveillance généralisée, éteindre l'esprit de libre examen. Depuis quelques décennnies déjà, en sourdine d'abord, puis de plus en plus ouvertement, la réaction religieuse avance ses pions, grignote de nouveaux droits, que rien ne justifie dans la Constitution, mais qui curieusement sont tolérés par les autorités. L'Etat aurait-il perdu son droit souverain d'intervention dans les affaires publiques ? Que devient la séparation de l'Eglise et de l'Etat ?
Je ne suis en rien un laïcard haineux et revanchard qui veut éliminer les cultes et les institutions religieuses. Par laïcité j'entens la liberté, garantie par l'Etat, de croire ce que je veux, de ne pas croire, de pratiquer ou non un culte dont les fondements ne contreviennent pas à l'ordre et la sécurité publiques. Rien de plus, rien de moins. Cette conception pacifique et réconciliante, d'aucuns voudraient l'abroger, forcer autrui à croire, le forcer à suivre non les règles de la société politique, mais celles d'une obédience religieuse particulière. Le droit à avortement, par exemple, est contesté par des groupes activistes, qui, non contents de s'interdire à eux mêmes le recours à cette possibilité - ce qui est leur droit, respectable en soi - veulent unilatéralement en priver les autres. Pourquoi certains croyants ne peuvent-ils supporter que les autres ne croient pas comme eux, n'agissent pas comme eux, s'autorisent ce qu'eux même s'interdisent ? La réponse est évidente : c'est la jouissance. Comment admettre qu'autrui jouisse là où je ne jouis pas ? Jouissance purement fantasmatique, car je ne vois guère de jouissance réelle dans un avortement.
Un des fondement des systèmes religieux c'est l'interdit. Pas de religion sans interdits. Le croyant s'imagine que si l'on ne respecte pas les interdits religieux on ne respecte plus rien. Voyez les discours délirant de tel évèque fustigeant le mariage homosexuel, assimilé à une pratique bestiale entraînant la fin de la civilisation. Je ne pense rien de particulier du mariage homosexuel, mais je ne saurais y voir un retour à l'état de nature. Les interdits laïcs sont tout aussi puissants, contraignants que les les interdits religieux, mais infiniment plus sélectifs, moins envahissants : ils ne règlent pas le détail de la vie privée comme les innombrables prescriptions des fondamentalistes, ils se contentent de définir les limites qui rendent possibles une vie sociale civilisée - du moins dans un état de droit qui ne bascule pas dans le totalitarisme.
Notre société a bien des défauts, elle n'est en rien exemplaire, mais elle a su au fil de l'histoire établir quelques principes fondamentaux dont l'esprit est juste, même si de nombreux abus, dénis de justices et autres en ternissent l'image. Il me semble plus sensé d'amender et de corriger ce qui existe que de vouloir introduire des principes fumeux, restrictifs et attentatoires, au nom de quelque croyance particulière et partisane. L'Etat doit viser le bien général et non se laisser corrompre par des intérêts particuliers. Si l'Etat échoue à remplir son rôle, c'en est fait de toute liberté et de toute beauté en ce monde.