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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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2 novembre 2016

PAROLABORATION : un manifeste

 

Labor (en latin : peine qu'on se donne pour faire quelque chose ; travail, fruit du travail) d'où labeur, mais aussi labour, labourage. Travail de la terre. Elaboration : travailler une idée, dégager une notion ou une idée. Enfin : perlaboration (Lacan) qui traduit assez heureusement le Durcharbeiten (travailler à travers) de Freud. Travailler le manifeste pour parvenir jusqu'au latent, à l'inapperçu, à l'inconscient. L'inconscient travaille les idées préconscientes, les transforme, les élabore, les déplace et les condense, produisant un texte qui paraîtra obscur, décousu et déroutant. Il faudra un autre travail (l'interprétation) pour remonter du texte (le rêve manifeste) vers la source inconsciente. Un aller-retour donc, double travail, et au final une grande incertitude sur le sens du rêve - à supposer qu'il en ait un, ou plusieurs, ce que l'on supposera par méthode, pour se donner une chance de découvrir quelque chose : "wo es war soll ich werden" - où était ça je dois advenir. Si l'on part du principe que le rêve n'exprime rien, ne dit rien, ne manifeste rien, on se prive d'une source importante de connaissance. Il vaut mieux poser en principe que le rêve est une "voie qui mène à l'inconscient". Pour autant il n'en faut pas attendre plus qu'il ne peut donner, par exemple prétendre y déceler le secret ultime de la subjectivité.

Après la perlaboration je proposerai la parolaboration, néologisme de mon crû, qui indique clairement la voie de la parole comme agent d'élaboration. C'est ce que je tente de faire depuis plusieurs jours : partir d'un souvenir, d'un rêve, d'une impression, d'un flash qui se produit spontanément dans mon esprit, page oubliée de mon histoire qui me fait la grâce de réapparaître inopinément, que je m'empresse de noter en me laissant guider par les associations, les impressions, les mots et les images qui se présentent en relation avec le thème principal, ne pas choisir ni éliminer, mais me laisser guider au fil, dégager ainsi un tableau complexe, avec motifs, personnages, actions et passions, émotions, sentiments, sensations, d'où émergera peut-être une idée neuve, ou ancienne qui se rafraîchit, change de sens et d'intensité, et de la sorte se renouvelle. C'est un double travail : le premier se présente comme une descente dans les profondeurs, en route vers le latent oublié ou refoulé, "perlaboration du manifeste" - puis un mouvement iverse du plus subjectif vers l'universel. Dégager une idée finale n'est possible que par une remontée, laquelle aboutit à une reformulation. C'est ainsi que je comprends la phrase fameuse selon laquelle le plus subjectif conduit au plus universel, par exemple lorsque Montaigne déclare qu'en se peignant lui-même il peint l'humaine condition.

Si l'on reste indéfiniment lové et vautré dans le discours manifeste on ne produit que du sens commun, soit la plus éculée de toutes les farcissures. Il faut oser descendre, se perdre, mais aussi savoir remonter et rapporter quelque chose de personnel, et si possible de neuf.

Voilà qui donne une autre image de l'acte philosophique : le philosophe est d'abord un homme concret, un vivant, sentant et ressentant, que les accidents de la vie ont mené dans une voie singulière, où le discours ordinaire n'avait plus cours, révélait sa caducité et son insuffisance. L'un expérimente l'effroi, un autre la solitude, ou l'étonnement, ou la crainte. Toujours un pathos particulier, une configuration insolite qui exige de la pensée, par de là l'affect. Ce qui fait le philosophe c'est peut être cette étrange naïveté de croire que la pensée offre une solution, laquelle, on le voit avec évidence, est seconde par rapport à l'affect, et se présente comme une tentative désespérée de contenir l'affect, de le circonscrire, d'en changer la nature. Voyez comment Pascal est travaillé par la pensée du vide, Schopenhauer par le désir, Lucrèce par l'effroi, Kant par la conscience morale (je dirais plutôt le surmoi), Hobbes par l'insécurité etc. Ce qui ne signifie pas qu'on puisse réduire le philosophe à un affect, ou à une idée. Ce sont là des génies qui ont renouvelé notre manière de penser. Mais à l'inverse c'est négliger une part  essentielle de leur apport que d'oublier leur "pathographie" - pour parler comme Nietzsche. Les philosophes m'intéressent dans leur entier, et pas seulement par leurs idées. En tout cas c'est ainsi que j'entends philosopher dussé-je croupir dans la plus effroyable solitude : explorer en profondeur, sonder les abîmes, extirper de ma mémoire tout ce qu'elle peut m'offrir, penser les rapports, élucider les circonstances, dégager les lignes de force, et de là remonter sans craindre les difficultés et les normes, élaborer les idées qu'on en peut retirer, formuler en termes intelligibles, communicables et universels.

Il est clair en tout cas que je peux ni ne veux penser autrement. Ecrire encore moins. La vérité ne peut certes se dire, mais elle peut s'approcher. Il suffira que le regard sache l'entrevoir toute nue derrière l'écran feutré de ses voiles.

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