Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 376
12 octobre 2016

ECOLE PRIMAIRE : une page d'enfance

 

De l'école primaire je ne garde qu'un souvenir effrayé. Mademoiselle Stopp, la bien nommée, femme homasse, immense et autoritaire règnait sans partage sur notre équipe de bambins, distribuant selon l'humeur des bons points aux élèves attentifs, et de furieux horions aux cancres. Sa spécialité c'était de traîner le contrevenant aux pieds de l'estrade, de lui faire tendre le bras, réunir les extrémités des cinq doigts en corolle, et y asséner un solide coup de règle. Cela calmait le jeu pour plusieurs jours. A dire vrai, je ne crois pas avoir subi ce tourment : j'étais complètement passif, récroquevillé au fond de la salle, mutique, abstrait et absent, ne bavardant jamais, ne posant nulle question, fuyant dans je ne sais quel songe incommunicable la rude réalité de l'école. Je faisais le minimum pour ne pas être puni, et pour le reste, insensible, inaccessible, lointain, exilé. Il me tardait de quitter ce lieu de supplices, de retrouver le jardin de mon grand-père, de faire courir le chien  - le malheureux était attaché à sa laisse tout le long du jour et de la nuit, et j'étais le seul en vertu d'une affinité secrète et chaleureuse, à lui offrir quelques moments de liberté, et à courir avec lui comme un sauvage en tous sens, en hurlant de joie ! J'en ai conservé un amour inconditionnel pour les chiens de toute obédience, et comme l'oncle Arthur je ne suis pas loin de penser que l'espèce canine vaut mieux que la nôtre. En un mot je n'aimaispas l'école, pas plus que l'église, lieux confinés, malodorants, lieux d'abaissement et de servitude, prisons climatisées.

Mais le pire c'était la rage tumultuaire du directeur. Jugez plutôt : les salles de classes étaient disposées autour d'une sorte d'aula, lieu totalement vide, sans meuble ni décoration, extrêment sonore. A de certains moments, pour punir une effraction particulièrement grave, le directeur saisissait le contrevenant par le collet, l'entrainaît dans le hall, lui assénait une dizaine de coups de bâton, et les hurlements du malheureux résonnaient à pierre fendre dans tout le bâtiment, se déversaient dans les salles, nous glaçaient d'effroi, nous figeaient dans un silence pétrifié. A cette époque les maîtres jouissaient d'un pouvoir absolu. Aucun parent n'eut jamais jugé que certaines punitions relevassent d'un sadisme caractérisé. C'était la norme, voilà tout.

A la récréation nous nous précipitions vers les lieux d'aisance. En guise de toilettes c'était une pièce froide, ouverte aux vents, avec un grand mur noir de goudron, où serpentaient quelques pauvres ruisseaux d'eau froide, qui coulaient le long du mur et finissaient dans une petite rigole censée emporter l'urine que nous giclions sur le mur. Et nous voilà tous debout, braguette ouverte (il n'y avait pas de filles, évidemment) pisssant à qui mieux mieux, et le plus haut possible. Je dis nous, mais c'est par commodité de langage, car moi, saisi d'un dégoût inexprimable, ne pouvant supporter cette promiscuité répugnante, j'attends en vain, debout contre le mur poisseux, incapable de me soulager. Je rengaine comme les autres, en dépit de l'urgence, et vous devinez la suite. Impossible de tenir encore une heure ou deux. Cette rétention involontaire, et sa suite malencontreuse me coûteront bien des désagréments, lorsque, rentré à la maison, il fallait bien avouer ma disgrâce. On crut que je faisais exprès, que j'étais récalcitrant et rebelle : c'était vrai en un sens, mais nullement dans le sens que l'on croyait. Quoi qu'il en soit, on crut me guérir par les coups, ce qui ne changea rien. Je ne devins que plus secret, plus songe-creux et mélancolique.

Au total mon séjour à l'école primaire fut assez calamiteux. J'étais un élève désespérément moyen, sans envergure, sans tonus, sans capacité particulière, juste assez pour passer d'une classe à l'autre, terne et poussif. Je ne contestais rien, ne m'opposais à rien, jeme laissais faire, je m'ennuyais, attendant je ne sais quelle occurrence qui me libérerait. Bientôt ma mère, inquiète deces pauvres résultats, et désireuse de me doter d'une solide culture, résolut de me placer en internat.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité