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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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16 août 2016

De l'HOMME NON-MORTEL

 

Hourrah ! Le saviez-vous ? Les olibrius de la Silicon Valley, après "l'homme augmenté", le "transhumanisme" et autres faribolles, nous ont concocté un nouveau concept : le non-mortel. Moi qui croyais savoir que les hommes en général, et Socrate en particulier, sont mortels, voilà qu'il me faut débrouiller la subtile différence entre l'immortel et le non-mortel ! En lecteur passionné de l'Antiquité, je savais, depuis Homère et Hésiode, que le qualificatif d'Immortel était réservé aux dieux, dont c'était la noble et immortelle essence.  Que de prétendre rivaliser avec eux en longévité et en puissance était le signe infaillible de l'hubris, une douce folie, voire un dérangement de la cervelle. Mais le dérangement de nos apprentis sorciers, notons-le en passant, ne va pas encore jusque-là, et se contente pour l'instant d'un négatif : non-mortel - qu'est-ce à dire ? 

L'idée c'est que si on branche sur un cerveau, puis dans le cerveau, un appareillage ultrasophistiqué capable de calculer à la vitesse de la lumière, de résoudre des équations à n dimensions en un quart de seconde, de se réparer lui-même, de compenser toutes les carences et faiblesses de la cervelle biologique, on se dote, non seulement de moyens et de ressources quasi illimitées, mais aussi d'un principe de renouvellement infini. La mortalité, l'obsolence programmées de la cervelle biologique, par cette greffe multi-usages, virtuellement inusable, seraient, en vertu des progrès parallèles de la biologie, repoussées constamment, jusqu'à quinze, puis trente, voire cent ans et plus. Et pourquoi se priver d'une transplantation de cervelle lorsque cela sera nécessaire, d'une seconde greffe, puis d'une troisième, tant que l'ensemble biomachinique est capable de fonctionner. Houa ! Mais d'emblée on se demandera où passe la singularité, ce qu'il restera de proprement individuel du cerveau d'origine, dans cet entrelacs monstrueux de fibres, de nerfs, de synapses, de flux informatifs, de fils informatiques, de programmes indéfiniment renouvelés et amendés. Qui, en définitive, survit de la sorte ? Une personne ? C'est à croire que cet ingénieux mécanisme n'aura servi qu'à révéler le sens originel de la "personne" : un masque de théâtre (per-sona), ou mieux encore, comme dans Homère, ce "personne" qui désigne l'absence : dans la machine, en effet, il n'y a plus personne.

L'Immortel, le dieu, ne peut périr. Il survit à toutes les avanies du sort. Mais le non-mortel n'est pas à l'abri des événements. Il est non-mortel en principe, in abstracto, en soi et par soi, si rien ne vient détruire sa programmation. Robocop increvable, il peut crever sous le coup des balles, des grenades, des accidents de la route, de la malveillance. On imagine sans peine un futur de science-fiction où les non-mortels se livrent un combat homérique pour la longévité, partent en guerre contre les mortels ordinaires, les réduisent en esclavage grâce à leur supériorité logistique, créent un nouvel Etat mondial, technologique et totalitaire, d'où seraient exclues toute subjectivité, singularité, maladie et déviance. Le meilleur des mondes possibles, et le plus effroyable. Où donc veulent en venir les protagonistes de cette folie technoscientifique ?

"On n'arrête pas le progrès". Ce qui signifie, en clair, que tout ce que la science et la technologie rendent possible sera immanquablement expérimenté. Les conditions anthroplogiques, géographiques, historiques, environnementales qui ont formé et défini la nature de l'homo sapiens vont être si profondémént modifiées - on parle à présent de l'anthropocène, nouvel âge géologique où l'homme est partie prenante, agent et co-agent des modifications géologiques - cette évolution, ou révolution, est si radicale que nous sommes vraisemblablement à l'orée d'un nouvel âge planétaire où toutes nos catégories mentales sont à revoir. Homo technosapiens. Nos enfants et petits enfants ne savent pas ce qui les attend, au sens propre. Je ne sais s'il y a lieu de s'en réjouir, ou de trembler. Je sais par contre que tout changement, à côte de ses avantages du moment, entraîne à sa suite des inconvénients, qui demandent un nouveau rectificatif, lequel entraîne d'autres inconvénients, qu'il faudra rectifier encore, si bien que l'état d'équilibre est un voeu, le voeu du bonheur, que tout conspire à rendre impossible. Le vase fuit, il fuit depuis longtemps, et sans doute fuira-t-il de plus en plus, jusqu'à ne contenir que le sel de nos larmes.

 

 

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