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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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15 juin 2016

De l'HUMEUR, et du SENTIMENT d' EXISTENCE

 

 

Le sentiment d'existence, comme tous les autres processus psychiques, est sujet à variation. L'humeur est la chose du monde la mieux partagée, tantôt guillerette, tantôt lourde et oppressante, toujours déjà donnée avant toute opération de conscience, laquelle consiste le plus souvent à prendre acte : on se lève du pied gauche, on ne sait pourquoi, mais c'est ainsi. On peut y réfléchir, chercher des causes dans les rêves pénibles de la nuit, mais d'où viennent ces rêves pénibles, on ne sait, et l'on pourrait, selon un étroit principe de causalité, remonter jusqu'à la nuit des temps. On peut aussi se dire qu'un rêve n'est pas forcément important, que ce n'est qu'une élucubration compliquée et abstruse à partir d'impressions diurnes contradictoires et passagères. On peut décider de passer outre, et d'emmancher résolument la journée, sans autre forme  de procès. C'est sans doute la décision la plus sage. Reste que l'humeur est une étrange chose, bien peu amendable et réformable. Peut-être convient-il d'en accepter les aléas, comme les nuages du ciel et le joli soleil, qui font comme ils veulent.

Plus préoccupante serait une disposition d'humeur perpétuellement triste ou anxieuse : il faut y voir un symptôme, une expression pathologique plutôt qu'une donnée de nature. Quelque chose s'est refermé lors de la formation de la personnalité, une aigreur, une déconvenue, dont il importe de chercher la source. A l'inverse, une humeur éternellement enjouée me paraît relever de la sottise, ou d'un aimable délire. Il y a matière à s'attrister de bien des choses, et ce serait une singularité suspecte que d'y être totalement insensible. 

Ma disposition spontanée, sans être vraiment triste, est plutôt songeuse, un tantinet mélancolique. Je suis fort sensible aux changements, et contraint de dépenser une forte énergie à maintenir un équilibre perpétuellement menacé. Jeune, j'étais volontiers morose, insatisfait de tout et de tous, comme si l'univers conspirait à me nuire. Le vivre, le fait simple et naturel de vivre au jour le jour, me paraissait chose extrêmement difficile, voire impossible. J'avais parfois d'anxieuses appréhensions du lendemain, comme si je manquais décidément de force pour y faire face. C'était surtout le dimanche soir, considérant la semaine à venir, ses innombrables tâches et incertitudes, que je sombrais dans une sorte de mornitude hébétée, contre laquelle je mobilisais toutes les ressources du devoir : "je ne lâcherai pas" - mais la phrase même implique l'aveu que de tout mon être je n'aspirais qu'à lâcher ! Et ainsi, de lutte en lutte, je finis par me rendre la vie à peu près impossible. On devine la suite.

Schopenhauer parle quelque part du "duskolos", celui qui est affecté d'une humeur chagrine, qu'il oppose vertement à l'"eukolos" - le gai, l'enjoué, pour lequel il n'a que mépris. A ses yeux, seule une disposition grave et pensive prédispose à la philosophie. Il faut bien avouer que les joyeux drilles sont plutôt rares dans l'arène philosophique ! Mais je m'obstine à penser qu'il faut tendre vers le plaisir et la joie, et qu'une saine joie est le signe infaillible de la santé. Je dis bien saine joie, et non pas imbécillité heureuse. En quoi Epicure reste à jamais le modèle de l'homme libre.

Aujourd'hui, après bien des luttes et des aléas, je puis me réjouir de ma joie, joie sans illusion, sans exaltation, réaliste et lucide, reposant sur un savoir modeste du non-savoir. J'en viens presque à imaginer le bonheur possible, tout en mesurant combien il y faut de conditions favorables, quasi miraculeuses. Je sais qu'il suffirait d'un rien pour tout compromettre, sauf à trouver en moi-même, et garantir, la tranquille certitude de l'existence. La philosophie, depuis l'origine, nous invite à chercher en nous même le fondement, plutôt que dans les choses du monde et dans la Fortune, à développer notre "virtu" plutôt qu'à nous suspendre aux dés du hasard. C'est là idée fort recommandable, excellente, mais dont chacun soupèse aisément la limite. Quoi qu'il en soit, je salue la Chance, cette heureuse cadence qui fait, dans le tourbillon du monde, choir à l'aventure la belle occurrence d'un beau jour, entre les brumes du matin et les turbulences de la nuit.

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Commentaires
O
En effet on se perçoit « Etre » juste avant d’être quelque chose ou quelqu’un. Nous sommes dans ce va-et-vient perpétuel entre la conscience éphémère d’être ceci ou cela et le contact avec « être » état au delà de toute perception, aperçu puis aussitôt quitté pour être avec tel ou tel objet, chose, personne, sentiment. Mouvement alternatif; comme pulsations de la vie; distille et systole ?
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A
Le sentiment d'existence " je suis " ne change pas en soi, le pur " je suis" est toujours "je suis " mais il est impermanent, il va et vient sur un fond qui ne change pas et qui est au dela de " je suis " et qui est le noyau dur de l'être. <br /> <br /> <br /> <br /> Ainsi on peut oublier son prénom mais on a toujours le même prénom, on a pas cesser d'être pour autant. On prend conscience de "je suis" puis on l'oublie, on oublie qu'on est mais on est toujours la bien sur, on est toujours je suis mais inconsciemment, la conscience porte simplement son attention sur autre chose. Dans le sommeil profond on est mais on en a pas conscience, la conscience porte son attention sur le néant et peut effectivement constater au réveil qu'il n'y avait rien...<br /> <br /> <br /> <br /> l'humeur comme tout ce qui existe est observable par un observateur qui ne l'est pas et qui est l'Alpha de toute chose. Peu importe l'humeur qui nous traverse, nous ne sommes pas l'humeur, c'est une forme d'énergie, un sentiment qui lui aussi est impermanent, une sorte de vêtement temporaire, une fois que l'énergie est consommé , elle disparait pour laisser place a une autre humeur, un autre vêtement.
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