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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 mai 2016

GLISSADE : journal du 11 mai 2016

 

Ce n'est pas encore l'Alzheimer, mais ça y ressemble ! Les images, les idées glissent comme des nuages dans le ciel. Rien ne s'arrête, rien ne se fixe, tout glisse et passe. Je regarde un film, je m'y applique plus ou moins, je rêvasse, je flâne, et c'est à peine si, le lendemain, je me souvienne de quoi que ce soit, ni du thème, ni des acteurs, ni des impressions que j'ai pu avoir la veille. Plus grave : je lis avec une extrême attention, car j'ai toujours eu le culte de l'écrit, je tente de saisir quelques idées fortes, de les imprimer dans ma cervelle, mais à peine le livre refermé, je dois bien me rendre à l'évidence, j'ai tout oublié. Encore est-ce là une simple façon de parler : ai-je oublié ce qui était inscrit, ou bien n'ai-je tout simplement rien inscrit tout en croyant avoir tout fait pour inscrire ? Défaut de mémoire ou faiblesse de l'attention ? Peut-être qu'au fond suis-je devenu incapable de m'intéresser, peut-être que je me laisse glisser, tête et jambe, dans une certaine mollesse léthargique et bienheureuse, où ni les idées ni les images ne comptent plus guère. Il en va de même des voyages, à mon grand regret, car au moins les voyages offrent-ils, en principe, du changement, l'attrait du renouvellement. Hélas il n'en est rien. Je ne sais si je vais m'en plaindre ou m'en réjouir. C'est un déficit d'affectabilité. Montaigne lui aussi note quelque part que "peu de choses (le) retiennent". L'âge y est pour quelque chose, c'est évident, mais il y a aussi ce fait que le monde perd en intensité, en fraîcheur, que le temps s'écoule mollement, et que le déjà-vu l'emporte impitoyablement sur l'à-venir. Il faut, si l'on veut maintenir la balance égale entre le passé et le futur renforcer d'autant la conscience du présent. Montaigne encore, qui se fait réveiller en musique, la nuit, pour goûter doublement le plaisir du sommeil. Belle résolution, sauf que je craindrais, moi, de ne pouvoir me rendormir après une telle interruption, et de passer le reste de la nuit à cogiter pour des prunes.

Au demeurant, il est vrai que l'affaire la plus urgente, dans un âge avancé, c'est d'aménager son temps, de réduire autant que possible ses douleurs, et d'intensifier ses plaisirs. Mais je vois aussi que le plaisir est de moins en moins intense, vif, primesautier et allègre. Et puis, faire effort pour obtenir un plaisir est une perte de plaisir. Je ne souhaite pas me faire violence en aucun domaine, préférant une douce glissade à une pente raide et abrupte. Je ne crois plus qu'il puisse exister un Souverain Bien, un Salut, une Béatitude, une quelconque transcendance de félicité qui mérite qu'on se mette en frais, qu'on s'échine et se tarabuste. J'estime qu'il n'y a rien à atteindre, ni dans cette vie, ni dans aucune autre - à supposer, ce que je ne crois nullement, qu'il puisse en exister une autre. D'une certaine manière tout est dit : "ite missa est" - rien de nouveau sous le soleil, ni dans le ciel. Il faut tout doucement s'acclimater aux choses comme elles sont, et cesser d'imaginer quelque perfection fantomatique, céleste et supramondaine. Vous connaissez sans doute la sentence bouddhique : "si tu ne comprends pas, les choses sont ce qu'elles sont : si tu comprends, les choses sont ce qu'elles sont". Admirable formule, qui laisse les choses en l'état, et tire un trait sur la présomption de comprendre. Voilà qui me plaît et me convient. Et je vois qu'à cet égard, le vieil homme, dans sa sagesse tardive et dés-abusée, rejoint pour finir l'ignorance native de l'enfant, accomplissant sans haine ni hargne, le grand cycle des âges, où le début et la fin coïncident.

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Commentaires
A
Aragon aussi ! si ma mémoire ne me trompe pas, se faisait réveiller la nuit pour avoir le plaisir de se rendormir.<br /> <br /> Je trouve inquiétant tous mes oublis semblables aux vôtres je m'en accommode en les mettant sur le compte de la "mémoire immédiate".<br /> <br /> Par contre des bribes de mon passé me reviennent sans que je les y engagent . Mes <br /> <br /> mes 70 ans me tourmentent surtout par l'idée de la mort qui se rapproche.<br /> <br /> Cela me fait vivre avec plus de plaisir, de contentement et de philosophie le moment<br /> <br /> présent .
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D
C'est toujours émouvant quand c'est écrit avec sincérité, et plus encore avec cette pointe d'humour posée avec délicatesse sur votre mélancolie.
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K
Le but c'est de se délivrer de toute crainte. La crainte qui emporte l'attention dans un passé ou un futur. L'esprit gamberge mais l'homme n'a d'autre lieu que l'ici et maintenant, le présent intégral où tout se joue.
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T
À vous lire, vous avez atteint la félicité des mousses, celle de l'escargot glissant paisiblement l'asphalte.<br /> <br /> <br /> <br /> La pensée, c’est l’effort donc l’énergie et la fatigue. <br /> <br /> <br /> <br /> Et puis les taoïstes, le décrivent si bien, la place de l’homme, c’est entre Ciel et Terre. C’est tout et pas plus.
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A
Jean Reno l'acteur disait aussi que lorsqu'on est célèbre on devient insensible, on perd des choses donc vous avez au moins échappé a ca le plus de temps possible, si vous aviez été un écrivain célèbre je n'aurais pas donné cher de votre peau vu que vous êtes un grand sensible...en ce qui concerne la mémoire elle est lache par nature, pourquoi vouloir se souvenir a tout prix de ce qui est mort, du passé? la perte de mémoire est un processus naturel qui accompagne l'age, alzeimer est assez naturel en fait mais on aime pas perdre ce qu'on possède. Seul le present importe, celui la vous ne pourrez pas l'oublier, être ici et maintenant est éternel et votre plus proche ami.
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