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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 avril 2016

Du CORPS comme REEL

 

Le réel du sujet est-il son corps ? Ce n'est certes pas faux, mais incomplet. J'y insiste cependant, définir le réel du sujet est, au sens strict, impossible, puisque toute définition se fait dans l'ordre du langage, et que nous faisons signe vers ce qui précède, englobe, et désavoue le langage, du moins dans sa prétention discriminante. Je remarque chez Schopenhauer la même prudence dans l'emploi du concept de vouloir-vivre, qu'il présente comme une simple approximation langagière, qui ne saurait exhumer la réalité vers laquelle elle fait signe. Certes le corps est davantage de l'ordre du réel que le psychique, toujours déjà formé et déformé par la culture, soumis aux exigences du renoncement pulsionnel, travaillé par les sillons de l'adaptation forcée. 

Mais le corps lui-même n'échappe pas au travail de socialisation : érection verticale, latéralisation, schème comportemental, attitudes, rythmes biologiques des besoins, expression des désirs etc - on se demandera assez vainement ce qui reste de la "nature", si la délimitation entre l'inné et l'acquis relève de l'impossible. Montaigne disait : l'usage crée une seconde nature, si connaturelle avec la première qu'on ne saurait les distinguer. Le corporel est lui-même un tissage complexe, indémêlable. En conséquence il ne peut être question de retrouver une "nature" originelle, un corps originel d'avant la socialisation.

Second problème : quand on parle du corps on y plaque instantanément des représentations imaginaires : image du corps dans le miroir, image dans la psyché, image construite et reconstruite avec des bouts de perceptions, péniblement recousues et réassociées pour tenter d'assurer une unité à ce qui fuit de toutes parts, comme on voit dans les psychoses, qui nous révèlent par antiphrase la précarité de cette unité. Cela tient à peu près, mais on ne sait comment, et cela peut se détricoter sans prévenir. A de certains moments, déréalisation, décompensation, forte angoisse, nous pressentons en nous-même la présence d'une toute autre réalité du corps, corps inconnu, corps sauvage, corps indiscipliné et rebelle, qui semble animé d'une logique autre : "nous ne savons pas ce que peut le corps". Précisons tout de suite : il ne s'agit pas davantage du corps analysé, disséqué, atomisé par la biologie médicale, qui, à sa manière, élabore une autre image, certes plus exacte, mais image toujours (songeons aux imageries cérébrales, Irm et autres), laquelle guide les interprétations nosologiques et les interventions chirurgicales. Ni le corps imaginé par le fantasme, ni le corps anatomique - reste le corps réel, dont nous ne savons rien, mais qui soutient tout l'édifice de la subjectivité. 

On peut tenter cependant quelques approximations : ce corps n'est pas une machine, ce n'est pas davantage un organisme matériel, ou plutôt, ce n'est pas seulement un organisme matériel. Bien sûr c'est de la physiologie, mais une physiologie animée, instinctuelle et pulsionnelle. On ne peut séparer ici l'organe de son activité et de sa passivité : il reçoit et il exprime, comme par exemple le poumon, ou les zones érogènes. Cette puissance de l'organe peut être inhibée, fractionnée, déviée, oblitérée, voire annihilée par des facteurs psychiques, comme l'angoisse (songeons aux accès de cécité hystérique). L'action thérapeutique, par l'analyse des facteurs en cause, vise à restaurer la puissance en levant les inhibitions ou les détournements, en somme, à rendre au corps réel sa plasticité. Inversement l'hygiène, la régulation et la dynamisation par des exercices adéquats augmentent la puissance du corps. On retrouve l'idée de Tchouang Tseu : la vraie spontanéité est l'oeuvre d'une longue pratique, comme chez le boucher passé maître de la découpe, ou chez le nageur, qui au sein d'un courant tumultueux, gagne aisément la rive. Dans ces exemples c'est "le corps" qui agit, ensemble complexe, harmonique, de tendances innées, d'acquisitions intériorisées, de fermeté et de souplesse, art supérieur où le corps exprime librement toutes ses virtualités.

Nous sommes en pésence d'une série de paradoxes : le corps est plus réel que la psyché, mais il n'est pas sans psyché ; le corps auquel nous pensons spontanément est davantage imaginaire que réel, mais on ne voit pas comment cet imaginaire pourrait tenir sans un réel immanent, qu'il faut bien poser comme une énigme à défaut de le connaître ; ce corps réel se rappelle indiscrètement à notre bon souvenir alors que l'on aimerait bien ne pas s'en soucier, voire l'oublier ; c'est ce corps réel qui détient la véritable puissance, et ses limites, qu'elles aussi nous aimerions oublier ; on peut multiplier les approches thérapeutiques, analytiques ou autres, s'y verser et s'y perdre à l'infini, reste qu'à un certain moment le réel nous rattrappe, et pas seulement dans la psyché, car souvent le corps s'en mêle, exprimant selon son mode propre la lassitude, ou le dégoût, ou la fatigue - ou la joie, lorsque retrouvant la voie de son désir, le sujet, à l'écoute du corps réel, se donne enfin les moyens d'inscrire quelque chose de sa singularité dans l'ordre-désordre du monde.

Reste à voir comment, concrètement, on peut se mettre à l'ècoute du corps, comme réel immanent, en deçà de toute représentation.

 

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