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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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24 février 2016

De la PERCEPTION ENDOPSYCHIQUE

 

La perception endopsychique est la perception des états, des mouvements, des modifications intérieures. A un premier niveau elle apparaîtra comme une orientation contre-nature, une sorte de monstruosité, parce que la perception, de son propre mouvement spontané, nous met en relation avec le monde extérieur : voir, entendre, goûter, toucher, sentir ce qui se manifeste à moi comme image, son, odeur, forme et intensité, que spontanément j'attribue à des "objets", immédiatement perçus comme extérieurs à moi. Ainsi se forme un sentiment naturel de présence du monde et de présence au monde : la conscience est conscience d'un monde, les deux se conditionnant dans l'instantanéité de l'acte perceptif.

Il faut imaginer que la conscience, à un certain moment de son histoire, opère une sorte de renversement, de mouvement rétroactif, de réflexion, pour se détourner des choses et revenir à soi. Cette conversion est étrange, fruit sans doute d'un ébranlement, d'une cassure, d'une expérience douloureuse. Car le plaisir, qui nous apparaît si naturel, ne nous invite guère à méditer, il s'éprouve comme heureuse disposition de l'organisme, allant de soi, autosuffisant, expérience d'une plénitude dont nous souhaitons d'instinct qu'elle s'éternise. Mais la douleur nous déchire, et nous contraint en quelque sorte à réfléchir sur sa provenance, à rechercher des moyens pour la suprimer, ou du moins l'atténuer, et à chercher des parades pour l'avenir. La réflexion commence dans la douleur, et par la douleur. C'est par elle que se forme lentement une conscience de l'intériorité, qui peut, chez certains, prendre des dimensions extraordinaires.

On a pu dire que la philosopie s'origine de l'étonnement (Platon, Schopenhauer). Je précise : étonnement devant la douleur. Pourquoi, de quoi souffrons-nous ? Est ce d'un corps sujet à des stimulations insupportables, d'une conscience de la précarité, de l'impermanence des choses et de soi, de la démesure d'un monde où je ne trouve pas de place, du non-sens de toute existence vouée à la mort ? Quoi qu'il en soit, il faut imaginer un effroi originel qui saisit la pensée, la retourne brutalement sur elle-même, la transit et l'exaspère. 

Siddharta, élevé dans la douceur d'un palais royal, découvre, lors d'une sortie, la maladie, vieillesse et la mort. Rétrospectivement il estime avoir vécu dans la plus funeste des illusions, et se met en quête de la vérité. La "première vérité noble" qu'il pourra établir, et ce n'est certes pas un hasard, est la vérité de la souffrance : " la naissance est souffrance, la mort est souffrance, les chagrins et les lamentations, la douleur, l'affliction et le désespoir sont souffrance, être uni avec ce que l'on n'aime pas ou ce qui déplaît est souffrance, être séparé de ce que l'on aime ou de ce qui plaît est souffrance, ne pas obtenir ce que l'on désire est souffrance. En bref les cinq agrégats de l'attachement sont souffrance" (Soutrâ  de la mise en mouvement de la Roue du Dharma).

Remarquons d'emblée que cette phrase illustrissime nous met directement en relation avec la perception endopsychique : chagrin, lamentations, union forcée, séparation, affliction, désespoir, désir et déception, voilà déjà toute une gamme de sensations somatopsychiques, de percepts, de sentiments, d'émotions dont tout un chacun a pu vivre la réalité et l'intensité. Et encore, ce n'est qu'un catalogue succinct, qui ouvre en fait à une gigantesque toile bariolée, infiniment nuancée, une symphonie d'une richesse et d'une complexité indescriptibles, dont les autres textes s'efforceront de décliner les formes et les variations. Le lecteur occidental qui découvre la littérature hindoue, et bouddhique en particulier, sera saisi d'étonnement devant la richesse inépuisable des descriptions relatives à l'exploration psychique.

La perception endopsychique peut se faire par l'observation de nos états de conscience, de nos désirs et volitions, de nos images mentales, de nos rêveries, de nos actes, paroles et pensées à l'état éveillé. Mais ce n'est là que la surface. Descendant dans l'état méditatif, relaxés et lucides, toute une floraison de sensations et de sentiments s'offre à nous, dont nous n'avons aucune idée à l'état ordinaire, et ainsi, de proche en proche, nous pourrons nous livrer à l'exploration d'un continent submergé, qui lentement se lèvera pour nous, jusque que dans les profondeurs de la psyché. Nous voyons alors que la conscience éveillée n'est que la face externe d'un monde, la face superficielle - solaire si l'on veut - qui apelle en complément la face obscure, celle de la lune. Soleil et lune, jour et nuit, yang et yin peuvent lors renouer leurs liens nécessaires et rejouer ensemble la grande musique cosmique. C'est aussi ce que dit Héraclite : jour et nuit sont un et le même.

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Commentaires
O
Toujours grand plaisir à vous lire Guy Karl; cela remémore mes connaissances. <br /> <br /> Remarquons combien le bouddhisme doit probablement à la situation particulière de son époque : on meurt beaucoup à la naissance, ou peu de temps après; la douleur, la maladie et la mort sont omniprésentes, tout près de la vie pourrait-on dire, quotidiennement présentes.<br /> <br /> Le Bouddhisme pourrrait-il s’épanouir dans nos sociétés hédonistes, où il est si facile d’ignorer la mort et la douleur durant parfois tout une vie. Avec pour effet ces grandes douleurs accompagnant le deuil dans nos pays qui me surprennent toujours. Untel découvre que la mort existe à 50, 60 ans; jusqu’ici il a réussi à refouler cette réalité. D’où la dépression ou la mélancolie qui s’en suit. Aucune pratique de détachement n’étant enseigné, mais plutôt les joies, la beauté de l’attachement sans mesure sous le nom d’amour. Une de mes cousine m’a fait comprendre le rite indien du suicide des veuves. Elle perdit son mari après 40 ans de vie conjugale heureuse. Son désir profond était de mourir avec lui; de se coucher sur sa tombe; j’ai compris ainsi pourquoi les veuves fréquemment, ont comme loisir d’aller sur la tombe du conjoint chaque jour; ce qui autrefois me surprenait. La puissance mortifère du lien rend compte de ce comportement.<br /> <br /> Quand à la remarque de Nxs; en effet la vie intérieure qui favorise l’examen, l’analyse, ne se développe qu’en initiant un certain détachement, lequel dépend de la richesse, le diversité, de nos représentations.
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N
Passer de la sécurité absolue du non être a l'insécurité de l'être n'est pas une mince affaire, on le voit chaque matin, le sommeil est toujours un plaisir et en sortir est parfois difficile parce que si être est une chose extraordinaire qui nous fascine, c'est aussi la cause de toutes nos souffrances. <br /> <br /> <br /> <br /> Pour pouvoir dire que jour et nuit sont un il faut pouvoir être placé d'un point de vue extérieur au jour et a la nuit... pour pouvoir dire que dans le sommeil profond on était nul part il faut quand même être un observateur détaché de ce nul part et observer, ëtre témoin de ce nul part...<br /> <br /> <br /> <br /> Le continent perdu est certes intellectuellement riche en découvertes mais tout ce qu'on y decouvre sont des phénomènes de la conscience même si ces phénomènes etaient dans l'ombre comme si on avait une grotte au fond de son jardin. <br /> <br /> <br /> <br /> Mais cela ne nous dit rien sur nous même et pas non plus sur comment ne plus souffrir...
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