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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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10 février 2016

Se DETACHER des THEORIES : le Filet de Brahma

 

Que se passe-t-il quand nous parvenons à nous détacher des théories, et en particulier de celles qui nous semblent vraies ? Est-ce là une perte sans remède qui nous plonge dans l'affliction, ou un gain de liberté ? Toute la question est de savoir à quel besoin, ou désir, répond la théorie, et quel type d'existence cet attachement produit, à notre insu. 

Dans un sutta de haute volée philosophique (Le filet de Brahma : Brahmajâla-sutta) Bouddha examine cette question et y apporte une réponse inspirante. Ce texte est remarquable entre tous car il présente 62 positions philosophiques, les repousse l'une après l'autre. C'est déjà un exposé systématique de toutes les conceptions qui avaient cours à son époque, ce qui nous donne un aperçu du haut niveau de spéculation des philosophies de son temps, que pourtant il n'hésite pas à contester sans le moindre ménagement, non en les examinant dans leur contenu, mais en dégageant la source insue d'où ils procèdent. Travail archéologique : à quel désir répond votre théorie, qui fait que vous y êtes attaché ? Repérer, isoler, désigner ce point, cette cheville ouvrière qui sous-tend l'édifice théorique suffit à le dissoudre, les autres points, rattachés à celui-là, se dissolvant nécessairement dans une débâcle générale.

Il examine successivement les théories éternalistes (le soi et l'univers sont éternels), à la fois éternalistes et non-éternalistes (par ex le corps est mortel mais l'âme est éternelle), celle qui affirme la limite de l'univers, celles qui la nient, les théories sceptiques, elles qui affirment ou nient l'existence près la mort etc. A chaque fin de présentation, des auteurs de ces spéculations il dit : "leur expérience n'est autre qu'une excitation et qu'une contorsion de gens qui se sont adonnés à la soif". Soif de quoi ? Soif de savoir, dira-t-on. Mais ce savoir, à son tour, à quoi correspond-il ? "A la sensation agréable devant leurs opinions par le contact dans les domaines des six sphères sensorielles" - c'est à dire : la vue, l'ouïe, le toucher, le goûter, l'odorat et la conscience. Donc le plaisir - lequel produit l'attachement, le désir de durer et de là tout le conditionnement de l'existence.

Donc nous aimons nos théories dans la mesure où elles nous plaisent, satisfont nos désirs, confortent le moi dans son effort de persévérance, et par là nous condamnent, par ignorance ou méconnaissance, à patauger sans fin dans le marais du samsâra. Dans toute théorie sur l'univers, l'origine, la destination et la nature de l'univers, sur les dieux, la vie avant la vie, la vie après la mort, la nature de l'âme etc, il ne s'agit, au bout du compte, que de sauver le moi, soit sous la forme grandiose de l'éternité, soit sous les auspices délétères de l'annihilation.

Quelle est l'attitude juste face à des diverses conceptions ? "Il ne s'attache pas à cette compréhension. N'étant pas attaché à cette compréhension il a connu en lui-même l'extinction. Ayant compris réellement l'émergence et la disparition des sensations, ainsi que leur saveur et leur désavantage, et le moyen d'y échapper, ô moines, le Tathâgata (Bouddha) est libre sans reste de substrats".

Renonçant aux prestiges de la spéculation, se détachant de toute théorie, il s'agit de faire retour à l'observation des sensations : les voire apparaître, se développer, disparaître, non pour s'y attacher et substituer un sensualisme hédoniste au plaisir de la théorisation, mais pour se rendre à l'évidence du flux, de l'impermanence, de l'écoulement, et retrouver de la sorte les quatre principes :

       toute chose est impermanente

       toute chose est insatisfaisante

       toute chose est sans soi

       l'extinction est libération. (extinction de la soif).

Peut-être, en un langage un peu plus contemporain, pourrait-on dire que la valeur d'une théorie, si valeur il y a, c'est de nous aider à nous en passer. Souvent il suffit de pousser un peu pour qu'une théorie révèle bien vite ses faiblesses et ses contradictions. C'était, sous nos cieux méditérranéens, la politique de Pyrrhon : épuiser toutes les théories jusqu'à leur reddition, afin de faire place nette, pour la liberté.

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Commentaires
T
Puis, là n'est pas la question de savoir si la réincarnation existe. C'est qu'elle joue le même rôle que l'enfer dans les monothéismes. Pour qu'une implication démarre sans délai, il est bien d'inspirer la crainte en propageant des images de feu, de démons cannibales et courroucés, d'expiation sadique. Méthode efficace pour produire artificiellement la culpabilité dans les esprits, et le devoir de se racheter alors qu'à la base les esprits sont libres de tout ! Puis la vérité, personne ne veut l'entendre : il y a surpopulation humaine sur cette terre, il y règne un chaos écologique, les animaux subissent ce que jamais nous ne ferions subir à nous-même et nos semblables, à une échelle industrielle (la dernière en date : Seconde Guerre Mondiale), nous luttons encore archaïquement pour reconnaître cette égalité de nature chez les animaux alors que nous naissons et mourrons comme eux, notre intelligence n’étant qu’une différence de degré ! Le but ici, n’étant pas de pointer du doigt les fautifs, uniquement de rappeler la cadre présent dans lequel nous nous démenons pour vivre décemment. Et, puis la transition écologique est tout à fait réalisable, elle est déjà en cours ! Les initiatives sont là mais elles sont modestes (en termes d’échelle) par rapport aux industries qui dominent le marché. Et puis, il faut avoir en tête que des hommes et des femmes dépendent de ces industries pour vivre, construisant dessus leur réalité. Donc demander le changement est possible mais très difficile. Il sera graduel. Tragiquement, ce n’est que sous une pression extérieure (climatique, policière, étatique ou autre) que ces hommes et ces femmes consentiront au saut évolutif, aspirant tous et toutes inconsciemment au bonheur. Il n’y aura pas de révolution, mais uniquement évolution.
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O
Mes chers correspondants. Courez voir le film : « Demain », encore sur les écrans de cinéma pour quelques jours. Là se réalise la seule révolution (pacifique) possible. Elle vient du local, du petit, du bas ; elle ne peut venir d’en haut.
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K
Notre temps se caractérise par 2 choses : la suprématie du marché et le temps de la machine. 1. Le marché doit perdurer. Pour ce faire, il faut inciter l'homme à consommer. Par la publicité et par l'occupation constante du temps de cerveau humain disponible qui amène mécaniquement à l'acte d'achat. 2. Le temps de de la machine, transposé et appliqué à l'homme, se caractérise par la vitesse (cadence) , l'immédiateté, l'activité constante, voir la productivité. Or l'homme est organique, il alterne entre l'activité et le repos, la reflexion et l'action. Il est lenteur et maturation. La machine avançant tout droit, n'a qu'une seule logique. Elle est binaire. L'homme est caprice et désir, et il dévie. Écart qui permet l'indéterminé et l'aléatoire d'advenir. L'homme pouvant souffrir la névrose sur 3 générations mais également briser la chaine karmique, oeuvrant dans le sens contraire, ou allant au-delà, court-circuitant la compulsion de répétition.
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O
Comme d’autres théories, le système du karma joue le rôle des « foudres de l’enfer » dans le Christianisme. Il favorise la morale mais aussi le conservatisme politique. Chacun, s’il est moral, reste à sa place dans la société. Le pauvre reste pauvre ; le riche, riche. C’est très conservateur.<br /> <br /> Bouddha avait-il le soucis de prémunir la société du désordre, de l’anarchie, d’une révolution? Tout ce que transmettent les textes sont-ils authentiques? Ou de quelque disciple écrivant sous son nom comme c’était fréquent aussi dans l’antiquité grecque?<br /> <br /> <br /> <br /> « Toutes les théories sont bonnes » rappelle ce mot de Wittgenstein sur « les jeux de langage ».<br /> <br /> <br /> <br /> Sans parler de l’attachement des croyants à leur théorie religieuse, humainement respectable, mais intellectuellement irrecevable, on a vu ce que la fidélité à l’idéal communiste, oh combien respectable, a entrainé nos intellectuels à justifier les crimes de Staline. On voit ici que l’attachement peut rendre complice du désastre. Mais ce n’est pas me semble-t-il à ces théories que pense le Bouddha; mais plutôt au cycle des désirs passionnels épuisants sans satisfaire jamais. Ce qui est pour notre temps contestable; n’a-t-on pas des plaisirs nombreux grâce à nos désirs encouragés par la publicité et la doxa contemporaine. <br /> <br /> <br /> <br /> La mesure (s’opposant à l’ubris) dans les désirs et les plaisirs, prônée par les Grecs, dans une voie du milieu me semble plus pertinente pour notre temps.
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G
Bouddha ne soutient pas de théorie de la réincarnation parce qu'il estime qu'il n'existe pas de sujet substantiel (d'âme si l'on veut) qui voyagerait d'un corps dans un autre. Ce qu'on appelle le sujet est un flux de sensations,perceptions, images mentales et volitions qui changent sans cesse. C'est la loi de l'impermanence, à laquelle il n' y a pas d'exception.Mais ces flux impersonnels se poursuivent sous une forme inconnaissable après la mort, engendrant de nouvelles modalités d'existence, sauf s'il y a extinction du flux par élimination du karma.<br /> <br /> J'avoue que tout cela est difficile à comprendre, surtout par un Occidental. Mais nous pouvons voir que les conflits non réglés dans une existence continuent à polluer la vie de nos descendants, dans certains pathologies familiales, transgénérationnelles. En fait il faut raisonner dans le cadre de trois générations au moins : ce dont le sujet hérite, ce qu'il fait, ce qui lui survit: ainsi nous avons une image compréhensible du karma (karma veut dire acte)
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