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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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13 janvier 2016

JOURNAL du 13 janvier : voyages (2

 

A y regarder de plus près, pourquoi voyageons-nous ? Que cherchons-nous dans cet ailleurs, qui, sitôt rencontré, devient imparablement l'ici ? J'imagine de belles rencontres, d'heureuses surprises, des sensations jubilatoires, je m'échauffe, je m'emporte, je me hâte, rien ne semble pour l'heure plus important que de partir, d'aller là-bas, d'y aller corps et âme, de m'y engloutir, de m'y fondre jusqu'à l'extase. C'est l'ailleurs miraculeux, c'est le pays où coulent le lait et le miel. Toute l'exaltation est dans la distance. Mais, sur place, que se passe-t-il ? L'ailleurs s'évanouit, le rêve se dissipe, l'illusion fond au soleil, à nouveau je suis dans l'ici, toujours dans le même corps, la même sensibilité, je n'ai pas troqué ma peau contre une peau nouvelle, et même si de nouvelles impressions viennent un temps me rafraîchir, me donner l'illusion d'une nouvelle vie, très vite je retrouve celui que je n'ai jamais cessé d'être : j'ai légèrement élargi mon espace, mais je suis toujours le même. L'ici repousse l'ailleurs dans les vapeurs du songe.

Cette déception, qui consentira à la dire, dans une époque farcie de préjugés, où voyager a bonne presse, comme de changer sans cesse, de vêtements, de maquillage, de situation, voire d'amants ou d'amantes. Bien sot celui qui avoue préférer une vie tranquille au bord du ruisseau aux expéditions lointaines, aux sports de l'extrême, à toute la quincaillerie du changement perpétuel. J'ai connu ce frisson du voyage, je me suis exalté, et je m'en suis dégoûté. Voyager je le veux bien, mais dans un esprit tout autre, n'attendant rien, me contentant de peu, et pour le reste appréciant là-bas, à peu de choses près, ce que j'apprécie ici : la belle lumière sur les montagnes et sur la mer, la végétation abondante, le calme, les belles heures de la sieste, les douces méditations au bord de l'eau. On dira, mais alors pourquoi partir ? Je répondrai que je ne cherche plus rien, et que, ne cherchant rien, je suis d'autant plus à l'aise pour apprécier ce qui mérite de l'être. Un petit plus, un petit écart, qui en soi n'est pas grand chose, mais qui vaut comme une différentielle par rapport au régime ordinaire, lequel, par là même, acquiert un surplus de valeur. C'est l'extra-ordinaire qui nous fait apprécier l'ordinaire.

Ce que je sais c'est que voyager ne change rien d'essentiel. C'est un vain fantasme, comme celui de "changer de vie". On ne change ni de vie, ni de peau, ni de structure mentale. Montaigne parle quelque part de la "forme maîtresse" qui est la sienne, par quoi il est constitué, et qui conditionne au long cours le déploiement de son être, lui assurant une sorte de constance et consistance, en dépit des fluctuations, des hasards et des variations. Au soir de la vie on se demande parfois si on aurait pu vivre autrement, choisir d'autres routes, se laisser aller à d'autres égarements : rêveries tardives, assez futiles. On ne peut remonter le temps pour se mettre dans la position où l'on a choisi, tel métier, tel conjoint, telle ville - à supposer que l'on ait pu choisir. On verra plutôt une continuité dans les grandes options, lesquelles sont l'expression d'une singularité qui se cherche, et dont la logique sous-jacente nous apparaît sur le tard. C'est pourquoi je me réjouis d'être encore en vie : mourir jeune est un grand dommage. L'homme agé a la chance de ramasser dans sa conscience toutes les étapes de sa vie et d'y discerner, éventuellement, la secrète logique de son désir.

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