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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 septembre 2017

GRODDECK : théorie du ça

 

Si l'on considère, avec Groddeck, que la vie, comme la mort, sont des expressions du ça éternel et immanent, on en déduira nécessairement quelques propositions remarquables :

La distinction traditionnelle du corps et de la psyché s'estompe : corps et psyché sont indissociables, étant ensemble et indistinctement des manifestations de l'énergie formatrice du ça. Il en résulte une approche médicale tout à fait nouvelle : considérer l'entièreté du patient, son mode d'être et de paraître comme une unité expressive. Affections physiologiques et psychiques relèvent d'une approche symptomatologique globale qui se refuse à opposer les deux versants : la maladie urinaire, par exemple, sera considérée comme un symptôme autant psychique que biologique. De quoi cette affection est-elle l'expression, voilà quelle sera la question du praticien. 

Le moi cesse d'être compris comme une unité substantielle, permanente et autosuffisante. Il est agi par le ça, lequel immerge et prolonge le présent dans un passé transpersonnel, à travers le passé des parents, et au delà, vers les générations précédentes. Le ça est à la fois personnel, puisqu'il agit l'individu et modèle son existence, et transpersonnel, puisqu'il s'étend dans l'immensité du passé, et continuera d'agir dans le présent et le futur. (Jung parlait du "temps immense" - idée assez proche de la nôtre).

Le ça manifeste une remarquable continuité temporelle à travers les âges. Plus radicalement, il Est la réalité, dont tous les modes temporels transitoires ne sont que l'expression momentanée, éphémère et mortelle. Idée qu'on peut rapprocher de l'Apeiron d'Anaximandre, le fond illimité dont procèdent les choses et à quoi elles retournent, selon l'ordre du temps.

Vie et mort, que nous opposons comme deux contraires absolus, perdent également leur tranchant, car elles sont, l'une et l'autre, des modalités de la vie universelle. Le ça fait naître et fait mourir, il n'y a pas d'exception à cette loi, laquelle commande souverainement l'ordre cosmique. Ici encore nous pouvons remarquer une profonde analogie avec la pensée d'Héraclite : vie-mort, comme on dira hiver-été,ou satiété-faim, indissociables, unité des contraires.

Le temps, de même, est susceptible d'un traitement théorique nouveau. Si pour le moi, et la société, le temps est irréversible, rien de tel dans le ça qui mélange les époques, fait revenir des périodes, les engloutit et les ressuscite, mêlant le passé, le futur et le présent, comme on voit dans les rêves, les symptomes, les crises politiques : temps multiforme, plié et déplié, réversible et imprévisible. Le sujet, façonné par la culture, conditionné au temps social irréversible, dans sa vie intime expérimente un singulier non-temps, ou un temps disfracté dont il ne sait que faire, et qui le déroute, sauf à se familiariser avec les inventions saugrenues et poétiques de l'inconscient.

Enfin, que valent nos oppositions entre homme et femme ? Bien sûr il y a la différence des sexes anatomiques, mais l'élément féminin et l'élément masculin sont présents depuis toujours, cohabitent dans la psyché, exigent des satisfactions correspondantes, au grand dam de la morale commune et des conventions sociales, qui creusent les différences jusqu'à l'absurde, condamnant bien des gens à la névrose. Là encore on pourrait dire, à la manière héraclitéenne : le dieu est homme-femme, ou, à la chinoise : le Tao est yin-yang. Pour un homme retrouver sa part féminine est une mesure de salut, comme l'attestent les artistes, ces explorateurs de l'âme.

On le voit, la conception groddeckienne dépasse largement le cadre d'une réflexion thérapeutique pour s'élever vers les cimes de la métaphysiques, ou, plus jutement, pour plonger dans les abîmes insondables du fondement absolu. Il se réfère souvent à Goethe, dont il reçut une impulsion décisive, lequel avait créé le terme de Dieu-Nature (GottNatur) après sa lecture de Spinoza. Il est vrai que le ça de Groddeck charrie des éléments de la Substance de Spinoza : éternité, puissance, expressivité, onmicontenance. Mais aussi, il retrouve des éléments de la plus ancienne philosophie grecque, comme j'ai pris le soin de le noter : Anaximandre (l'Apeiron) Héraclite (l'unité des contaires) Empédocle (vie et mort, amour et haine). Pour moi Groddeck est le fin continuateur de la pensée de l'origine, avec, en prime, de précieuses indications thérapeutiques, lesquelles n'ont pas été entendues suffisamment, et qui pourraient peut-être nous permettre de sortir des impasses actuelles de la psychanalyse.

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Commentaires
A
Alors on est peut-être tout simplement en contradiction sur les termes ! Car pour moi, toute doctrine reconnaissant le divin (que ce soit le monothéisme, le panthéisme, le panenthéisme ou autre) est une religion, ou au moins une croyance.<br /> <br /> En ce qui concerne la mystique, c'est effectivement plus délicat. Mais si on parle de mysticisme au sens large, je ne crois pas qu'il y ait nécessairement personnification. Je pense même que c'est bien souvent l'ancrage culturel qui vient donner un "nom" ou une identité à l'expérience mystique. Les poètes se réclameront de la Muse, les religieux de Dieu, les spinozistes de Dieu-Nature, d'autres de Dionysos etc.<br /> <br /> C'est peut-être mon penchant rationnel mais je pense qu'il est important d'objectiver ces expériences pour en reconnaître le caractère universel et multiple. Cela nous aide par ailleurs à penser une philosophie nouvelle pour nous venir en aide en ces temps de crise ou de "retrait des dieux", comme l'avait bien saisi Hölderlin, devançant Nietzsche à sa manière...
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G
Spinoza écrit cependant : dieu ou la nature, ce qui exclut toute personnalisation du divin, en quoi il est bien extérieur à la religion, et sans doute aussi à la mystique.
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A
Merci pour vos précieuses remarques. Je n'ai pas un bagage très conséquent en ce qui concerne l'histoire de la philosophie et mes connaissances à propos de Spinoza sont elles aussi lacunaires mais je vais essayer de clarifier ma pensée et de proposer deux trois hypothèses.<br /> <br /> <br /> <br /> Ainsi, il me semble que Spinoza est un philosophe "à cheval" entre la pensée occidentale et certaines influences venues d'Orient. Sa philosophie relève bien plus de la première catégorie, c'est certain, mais je pense pourtant qu'on peut déceler chez lui quelques affinités avec la mystique rhénane selon laquelle Dieu est à la fois connaissance et non connaissable, si je puis le résumer ainsi...<br /> <br /> Il n'est sans doute pas question de foi à proprement parler chez Spinoza, mais je me demande si au lieu d'un "savoir" on ne pourrait pas plutôt parler d'expérience (l'intuition intellectuelle, si j'ai bien compris de quoi il en retourne, me semble d'ailleurs aller plutôt en ce sens) ? Car ce qui me chiffonne, c'est qu'on dirait que Spinoza voudrait démontrer l'existence de Dieu rationnellement, mais dans le même temps refuser l'implication "effective" de cela sur notre intériorité, sur notre expérience à ce sujet... Plus encore : je dirais qu'une telle connaissance ne peut à mon sens être admise que si l'expérience vient l'appuyer, et même la précède ! Car si l'on parvient à suivre son raisonnement du début à la fin mais qu'il ne trouve en nous aucun écho, aucun appui, alors tout cela s'effondre comme un château de cartes au bout du compte, non ?<br /> <br /> <br /> <br /> Pour mieux exprimer ce rapprochement avec la mystique rhénane et illustrer mon propos, je voudrais citer le passage suivant de La vie au-delà des sens de Jakob Böhme :<br /> <br /> « Si tu veux Le saisir, alors Il te fuit. Mais si tu te remets totalement à Lui, alors tu es mort à toi-même selon ta volonté, et Il devient la vie de ta nature. Il ne te fait pas mourir, mais au contraire Il te rend vivant selon sa vie. Tu vis alors non point par ta volonté, mais par la sienne, car ta volonté devient la sienne. Ainsi tu es mort à toi-même, mais tu es vivant à Dieu. »<br /> <br /> <br /> <br /> Si on lit ce texte comme le récit d'une expérience, on ne peut pas tellement parler de foi à mon sens, mais plutôt d'une connaissance intuitive découlant nécessairement d'une expérience vécue. Bref, tout cela pour dire qu'au fond, quand je parlais d'une "foi renouvelée", je songeais à quelque chose allant en ce sens. Je vais m'arrêter là car je me suis déjà bien étalé. J'aimerais néanmoins partager ce texte tout à fait dans l'esprit de cette discussion et que vous connaissez peut-être déjà :<br /> <br /> https://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article200
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D
Excellent commentaire de Arfuyen dont je rejoins tout à fait l'inspiration. Juste un mot presque anecdotique concernant Spinoza. La foi n'est pas, me semble-t-il, un terme approprié car le rapport à la Nature ne fait l'objet d'aucune confiance ni d'aucune croyance. La Nature est. C'est la raison pour laquelle pour Spinoza toute croyance est sans objet véritable ou plus exactement, elle ne fait que refléter une ignorance. Je crois donc j'ignore. <br /> <br /> Dieu ne fait pas l'objet d'une croyance, pas plus d'une foi, mais d'un savoir. La science intuitive se place du point de vue du Tout de la Nature, d'une nature naturante qui ne sépare plus l'homme de ce qui le détermine.<br /> <br /> En ce sens, la rupture évoquée se trouve moins dans le Siècle des Lumières que chez Descartes avec l'ontologie du sujet comme substance pensante par opposition au corps et à la nature.
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A
Pour rebondir sur le commentaire de Démocrite, le "fond de la vie" dont parle Nietzsche, la force dionysiaque qu'il érigea en nouvelle voie de salut pour l'homme ; c'est-à-dire en ce qu'il nous faudrait retrouver une existence où l'intensité (du vécu) soit accrue et en cela refonder la morale et notre culture tout entière selon d'autres valeurs, bref, tout cela ne va-t-il pas dans le même sens que ce que propose la psychanalyse vue par des praticiens comme Groddeck ou Otoo Gross, à savoir une vie plus épanouie et libérée, plus en adéquation avec notre nature, ou ce qui nous fonde en somme : le ça ?<br /> <br /> <br /> <br /> Il me semble par ailleurs que Kierkegaard et Spinoza indiquent eux aussi à leur manière la nécessité de retrouver une sorte de foi renouvelée, autre que la foi chrétienne comme nous la connaissons aujourd'hui (c'est sans doute très discutable en ce qui concerne Kierkegaard mais selon moi il fait un pas en ce sens).<br /> <br /> <br /> <br /> Il conviendrait pour cela de commencer par remette en question la culture rationaliste-réifiante (ou nihiliste et décadente pour employer la terminologie nietzschéenne) dont nous sommes issus, ce qui n'est pas vraiment à l'ordre du jour... J'ajouterais encore que le capitalisme et sa dernière forme qu'est le néolibéralisme ne sont que les dernières conséquences visibles d'une idéologie qui meurtrit l'homme et son environnement depuis les Lumières (ou du moins disons que le basculement décisif s'est fait à partir de là, autrement, je rejoins l'hypothèse de Giorgio Colli selon laquelle la scission de l'homme et de la véritable sagesse (ou mania) se fait à partir de Socrate).
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