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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 octobre 2015

JOURNAL - 22 oct -TRACES : Roussseau

 

Rousseau aurait écrit : "Je suis né mourant". Voilà qui en dit long sur son idiosyncrasie, et confirme le diagnostic de mélancolie que certains bons jivaros de l'âme ont bien voulu lui décerner. Je n'en dirai pas autant pour moi, je ne dirai pas que je suis né mourant, mais animé de flamme vitale comme tout un chacun, avant que les choses ne se gâtent. Au demeurant nous naissons tous mourants, si nous considérons qu'en somme, venir au monde c'est se donner un ticket pour le trépas. "Sitôt né on est assez vieux pour mourir".

Ce qui est grave ce n'est pas tant de souffrir des inconvénients de l'existence que de se focaliser sur la mort. Rousseau  se voyait perpétuellement mourir. Il est vrai qu'il souffrait beaucoup : d'un urêtre malencontreux, d'une prostate capricieuse, d'un organe calamiteux. La médecine d'alors était fort malhabile à soigner et à soulager. On imagine le pauvre homme en galante compagnie, pris d'une soudaine et irrépressible nécessité, planter là ses admiratrices pour se précipiter en quelque recoin pour soulager la nature. Cela ne vous fait pas un séducteur, ni un bel esprit. On raconte que Casanova s'étant présenté au domicile de Jean-Jacques pour lui faire ses hommages, l'ours de Genève, sans un mot, lui aurait tout simplement tourné le dos ! Sacré Jean-Jacques ! Je suis toujours, à le lire, pris d'une sorte de haut le corps devant un tel amas de bondieuserie, de menterie et d'hypocrisie morale, et dans le même temps, invinciblement séduit par ce styliste extraordinaire, cet artiste incomparable du verbe. Il m'agace et me ravit. La chose est particulièrement nette dans les "Rêveries" - que l'on vante généralement pour leur incomparable poésie, mais qui, à lire attentivement, sont plutôt une pénible rumination, un ressassement lamentable des mêmes idées fixes : angoisse et culpabilité, "méchanceté" des hommes, complot, misère, solitude sans exemple, rejet universel. Rousseau se peint avec délectation dans le rôle de la victime, vitupère, accuse, maudit - et jouit !

Pourquoi parler de Rousseau ? C'est encore un de ces retours acrobatiques auquels je me livre ces temps-ci, laissant refluer en moi ces images oubliées d'un passé dont je m'étais totalement détourné. Rousseau fait partie de mon adolescence, comme Rimbaud ou Hölderlin. J'ai grandi avec eux, je me suis déformé avec eux, avec eux j'ai espéré, avec eux je me suis trompé. A la religion chrétienne, que j'avais vomie, j'ai substitué, sans bien m'en rendre compte, une religion de l'art qui m'a longtemps détourné de la réalité. Et pour faire bonne mesure, je choisis une profession - l'enseignement de la philosophie - qui, dans un premier temps, ne pouvait qu'intensifier cette césure fatale.

De son propre mouvement le coeur va à l'illusion, jamais à la vérité. Mais il en va du réel comme de la mort, il finit toujours par nous ratrapper. Alors commence une autre histoire, de douleur et de larmes, mais de connaissance aussi, qu'il faut savoir assumer. Mais en voilà assez pour aujourd'hui.

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Y
J'ai refusé assez longtemps de voir et de savoir. Je préférais l'illusion, je préférais vivre sans savoir, sans connaître la vérité. Je préférais faire confiance à mes pensées toute puissantes, un peu à l'image de certains malades mentaux ; je me souviens d'un film où un homme de structure psychique psychotique - au lendemain de son mariage - a décompensé : il a disparu plusieurs jours. Lorsqu'il a été retrouvé, il a témoigné de son absence qui - selon lui - n'avait durée que quelques minutes et non plusieurs jours et nuits. Il décrivait sa pensée toute puissante : il s'était posté sur un pont et avait fait se lever le soleil, puis il disait l'avoir fait se coucher puis se lever à nouveau et ceci plusieurs fois de suite. Evidemment il a fini en HP. <br /> <br /> Il est souhaitable de parvenir à mourir à ses idées et pour cela, fondamentalement il nous faut accepter en premier lieu cette évidence que nous sommes mortels, voilà la condition pour nous permettre de cheminer vers la connaissance, la beauté, la vérité.<br /> <br /> Longtemps j’ai pensé que le modèle éducatif prôné par Jean-Jacques Rousseau dans son livre l’Emile paru en 1762 était un modèle de référence à suivre. Toute la tradition de l’éducation nouvelle s’en est d'ailleurs inspirée y compris le docteur Itard vers 1790 avec Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, dont on sait pourtant que l’éducation mis en œuvre fut un cuisant échec. Ce n’est qu’assez récemment, grâce à un collègue, que je me suis mis à douter de cette conception éducative ROUSSEAUISTE à laquelle j’avais "adhéré" pendant de nombreuses années. Il m'a fallu douter, ne pas me contenter de réponses toutes faites, soient-elles à première vue séduisantes. Jean Jacques ROUSSEAU écrit : « l’homme est bon de nature, c’est la civilisation qui le pervertit. » Partant de là, il imagine logiquement une pédagogie qui soustrait l’enfant à ses liens socio-familiaux : même si Emile garde ses parents, c’est le gouverneur qui succède à tous leurs droits. Emile sera donc accompagné d’un gouverneur qui aura pour charge de sauvegarder avant tout sa liberté d’enfant ! L’enfant ne doit sentir que la rigueur des choses, non celle des hommes. C’est pourquoi il n’aura pas de lien avec l’extérieur avant l’âge de 12 ans ni d’apprentissage éducatif. Le gouverneur est l’agent de la nature, il élève Emile en le soustrayant à la méchanceté des hommes, il le soumet à dame nature et lui donne fort logiquement comme seul livre celui de Robinson Crusoé parfait miroir de son modèle d’éducation « naturelle ». On ne lui parlera pas, la nature sera son guide mythique. Etc.…<br /> <br /> Supprimer toutes contraintes liées au quotidien comme le propose JJR n’est évidemment pas possible … ni souhaitable. En effet l’enfant n’est pas un bon sauvage Rousseauiste, c’est un être social qui doit – aujourd’hui peut-être plus qu’hier – être confronté à l’apprentissage des lois et des règles qui régissent la vie en société. C’est précisément la confrontation à l’interdit qui permet à l’enfant de désirer et de se socialiser. C’est par le biais de "l’inter-dit" que l’enfant peut entrer dans la condition humaine. Il prend conscience que tout n’est pas permis, qu’il est marqué par l’incomplétude. L’enfant doit pouvoir avoir la chance de mourir à la toute puissance de ses idées. JJR n’a pas raison de renvoyer chacun à ce qu’il pourrait bricoler dans son coin comme il l'imagine dans l'Emile. On voit bien aujourd’hui comment cette idée nous conduit tout droit à l’individualisme et déstructure le lien social. Nous ne pouvons pas vivre sans un système de valeurs transcendantes choisi par une communauté, une nation, un peuple. Ce que propose JJR est monstrueux quand on y pense, il cherche à soustraire l’enfant à la parole, aux échanges avec les parents, les adultes, les enseignants, les éducateurs, les autres enfants … or c’est bien par la parole et le langage que peut se transmettre l’incomplétude qui constitue la marque de l’humain.<br /> <br /> Alors que s’est-il passé pour JJR pour qu’il en vienne à écrire ce texte sur l’éducation ? JJR n'était pas en capacité de pouvoir remplir ses propres devoirs de père et il abandonna ses propres enfants car ne pouvant faire face à ce qu’exige la fonction paternelle. Il écrit : « Celui qui ne peut remplir les devoirs de père, n’a point le droit de le devenir. Il n’y a ni pauvreté, ni travaux, ni respect humain, qui le dispense de nourrir ses enfants et de les élever lui-même. Lecteurs vous pouvez m’en croire. Je prédis à quiconque a des entrailles et néglige de si saints devoirs, qu’il versera longtemps sur sa faute des larmes amères, et n’en sera jamais consolé. » Nous ne pouvons qu'être sensible à la détresse qu’il a du traverser dans sa solitude.<br /> <br /> L’image du gouverneur qu’il a fabriqué, semble bien correspondre au maitre absolu que l’on retrouve souvent dans les paranoïas : JJR écrit : « … vous devez être tout à l’enfant, l’observer, l’épier sans relâche et sans qu’il y paraisse, pressentir tous ses sentiments d’avance et prévenir ceux qu’il ne doit pas avoir » Le gouverneur de Rousseau est animé par une volonté de maitrise absolue visant à modeler l’Emile selon son bon caprice : « ne le laisser seul ni jour, ni nuit, couchez tout au moins dans sa chambre ». Le gouverneur ne transmet pas la loi sociale, il fait loi, il l’invente : « Emile dit le gouverneur ne doit obéir qu’à moi » Rousseau fait complètement l’impasse de la dimension transcendante de la loi qui permet l’accès de chaque enfant à la dimension symbolique sans laquelle il devient de plus en plus difficile de vivre ensemble. Face au persécuteur, le sujet devient objet, déchet, chose. C’est bien le gouverneur qu’il convient de soigner en premier chef. Il veut le bien d’Emile, c’est à dire le modeler à son image et par conséquent étouffer son désir de sujet.<br /> <br /> A notre mort la nature continuera très tranquillement sa marche souveraine et même si nos amis, familles …se souviendront de nous, nous devons accepter de n'être absolument pas indispensables à la marche de l'univers. Nous sommes mortels et avant de mourir "pour de vrai", il nous faut commencer à mourir à nos idées.
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