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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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12 octobre 2015

JOURNAL - 12 oct - TRACES

 

J'ouvre la boîte et les images s'envolent comme des papilons...Il me suffit de me rendre disponible, de me détendre, de me laisser respirer, de renoncer à penser. Car ces images qui surgissent, je ne les convoque pas, ne les force pas, elles viennent en toute gratuité et innocence, fraîches, sensibles, charnelles. Je n'ai nul projet littéraire, je ne fais pas de roman, pas même de récit autobiographique. Ce sont des aperçus sur le vif, de petits tableaux, des scénettes intimes. Je ne cherche pas à les ordonner, ni à les amender. D'un jour à l'autre, sans plan, sans intention, elles viennent à moi, je les accueille et les transcris le mieux que je peux. Tout le plaisir est là, dans cette joie de cueillir, de transcrire, de poser les mots comme des pierres précieuses sur un écrin, de composer un collier de perles, coloré et chatoyant. Rarement j'ai éprouvé un tel plaisir à écrire, comme si j'écrivais pour la première fois, pleinement libre et conscient de moi-même.

Il y a quelques années j'avais suivi plusieurs séances d'hynothérapie. Après avoir suggéré une détente générale, à laquelle j'accédais assez facilement, le thérapeute me proposait de laisser venir une image agréable, sans rien diriger, sans juger ni choisir. A chaque fois c'est la même image qui se présentait : je me trouvais chez mes grands parents, dans la cour de sable entre la maison et le poulailler, entre la rue et le jardin, jouant au soleil, ou faisant courir le chien. J'avais dix ou douze ans. J'étais heureux, insouciant, protégé du monde hostile, et les choses étaient somme toute à leur place. A vrai dire je n'étais pleinement heureux que là, et j'oubliais sans peine mes difficultés et mes contrariétés. J'avais un camarade de jeu, Damien, qui était dans la même classe que moi, moins anxieux, plus robuste, plus fruste : sa compagnie me faisait du bien. J'aimais me rendre chez lui : son père possédait un atelier de maçonnerie et c'était fabuleux de se perdre dans les dédales des escaliers de bois, des charpentes, des planches, des brouettes et de tout un amoncellement baroque d'outils, de vieilles bicylettes pourries, de chariots, de pierres de taille et autres. Parfois la soeur de Damien, Angèle, se mêlait à nos jeux, et régulièrement la séance se terminait en dispute entre le frère et la soeur. Quand les choses s'envenimaient je rentrais à la maison.

Revenu dans la cour de la maison grand-parentale je jouais avec le chien. C'était l'ami le plus précieux, et le plus malheureux. Je ne copmprenais pas pourquoi il devait rester enchaîné, alors qu'une porte fermée défendait l'accès de la propiété. Le pire c'est que la pauvre bête perdait l'appétit, et je ne supportais pas que les poules viennent boulotter la pitance qu'il négligeait, réfugié, impavide, au fond de sa niche. Parfois, pris de colère, je chassais les intruses à coup de pierres. Mais cela ne rendait pas l'appétit à mon chien.

Il y avait beaucoup de lieux mystérieux : la cave sombre où des tonneaux de choucroute avoisinaient les planches de pommes de terre et de pommes, la glacière, les sacs de charbon. Des jambons et des boudins pendaient aux murs. Parfois l'inondation nous forçait à ramer sur des planches. C'était fabuleux ! Et puis il y avait le grenier, l'odeur sèche de poussière, les rais de lumière blonde sur le plancher, les vieux bahuts pleins de mystère. Un jour j'ouvris un tiroir d'un meuble sans apparence et je découvris une photo qui représentait ma mère avec un homme. Pas de doute cela ne pouvait être que mon père. J'avais le sentiment anxieux d'une redoutable transgression. Nul ne parlait jamais de mon père, à croire qu'il n'eût jamais existé, qu'il n'eût jamais franchi le seuil de cette maison, qu'il n'eût été qu'un fantôme transitant, inappperçu, entre deux continents. Ainsi donc c'était lui, tenant ma mère par le bras, souriant, détendu, mais sans rapport aucun avec tout ce que je connaissais, tout ce que j'aimais, parfaitement inconnu, simple image de papier, alors que j'aurais tant souhaité le voir, le regarder, l'entendre m'appeler par mon nom, me dire enfin quelque chose qui m'eût fait signe, qui m'eût situé dans un rapport vivant et signifiant.                    

C'est un mystère qu'aujourd'hui encore je ne m'explique pas : pourquoi ce silence, effrayant comme la tombe, ce vide tentaculaire et glaçant qui fait comme un trou béant dans une jeune âme désireuse de savoir?

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Commentaires
S
Voici un texte très émouvant cher Guy, probablement parce qu’il est écrit par un petit garçon qui a toujours très mal au cœur, toujours et encore aujourd’hui inconsolable. Comment combler l’absence ? Je pense qu’ici les mots sont de trop.<br /> <br /> <br /> <br /> Par ailleurs, je t’imagine très bien avec ce petit quadrupède, compagnon de ton enfance dont tu t’occupais avec douceur et tant de gentillesse. Je comprends mieux ton « intérêt» pour un certain « Patou », à la fois « siesteux » qui paressait sous le soleil d’été, par moments joueur aussi, en reconnaissant probablement en toi une âme belle et protectrice. <br /> <br /> <br /> <br /> Ce jour-là j’ai vu un petit garçon au regard pétillant, tout sourire dehors, qui attendait peut-être qu’une main paternelle tape derrière son épaule …
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Y
Ce petit texte m'évoque l'image d'un petit chien prés de chez moi enchainé à une niche ; autour de cette niche, dans un rayon équivalent à la longueur de la chaine, plus d'herbe. A force de parcourir sans cesse le même arc de ciel seule la terre battue subsiste.<br /> <br /> J'avoue avoir été longtemps attristé par ce spectacle désolant, impuissant aussi à y remédier dans la mesure où , malgré le sort peu enviable de ce pauvre petit chien, j'étais bien forcé de constater qu'il n'était pas à proprement dire maltraité.<br /> <br /> Et puis voilà quelques mois j'ai pu observer le maître des lieux commencer à soigner sa maison, poser des sympathiques clôtures en bois, redonner de la fraîcheur à son habitat. .. Et puis ce petit chien à été détaché et depuis il peut vagabonder librement et cela me fait vraiment plaisir.
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