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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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24 juillet 2015

PERSEVERANCE sans ESPERANCE

 

Un ami lecteur, en écho à mon article "Persévérance", fait rimer ce terme avec "espérance". Hé quoi ! c'est son droit, et je ne saurais le blâmer de lire les choses de cette manière. Quant à moi, j'avoue que ce terme d'espérance ne figure point dans mon vocabulaire. "Que pouvons-nous espérer" demandait Kant. Ma réponse tient en un mot : rien. Toute entreprise humaine est vouée à la mort, comme chaque vie. On cherche de tous côtés quelque chose qui ferait exception, valeur, âme, idéal et tutti quanti, mais qui ne voit que ce sont là des constructions mentales - des fantasmes - qui n'ont d'autre fonction que de nous dissimuler l'évidence. Soit, cela peut aider à vivre, mais alors la vie elle-même se construit sur la dénégation. Il est vrai que c'est là le régime ordinaire, et nul ne s'en offusque, surtout en ce siècle voué à la mercantilisation universelle, où ce qui vaut est ce qui se monnaie. On peut tout acheter, biens et bonheur - il y a des coach pour cela - au point de croire que rien de grave ou de sérieux ne saurait nous troubler vraiment. Autrefois on achetait l'immortalité de l'ame, aujourd'hui on achète la satisfaction immédiate et inconditionnelle. Et cela marche. A vrai dire cela marche si bien et si fort que l'idée même d'interroger ce fondement universel de la dénégation apparaît comme une loufoquerie. Et ceux qui ont le mauvais esprit de s'interroger, que sont-ils, sinon des fous - ou des sages ?

Espérer c'est imaginer un avenir conforme à nos voeux : "passion triste" disait Spinoza, qui ne va pas sans crainte. Espoir et crainte, même pathos. Projection, anticipation, déchirure entre le présent et le futur, tension inutile, affairement. En quoi demain serai-je plus heureux si je suis toujours celui que je suis, incapable de changer quoi que ce soit dans ma nature profonde, inapte de surcroît à modifier le cours des choses ? On peut toujours rectifier quelque détail, changer de profession ou de ville, mais sur le fond, que changeons-nous quand nous prétendons tout changer? Aménagements de surface, pérennité de structure. 

Il y a dans le terme "espérance" je ne sais quelle effusion, quelle grandiloquence qui m'est étrangère. Depuis peu - il est vrai qu'il m'a fallu beaucoup de temps pour y arriver - je vis dans l'épaisseur du présent, qui n'est ni particulièrement allègre ni fondamentalement triste, il est ce qu'il est, cahotant, lourd et léger, ni satisfaisant ni insatisfaisant, d'une sorte de neutralité accommodante et variable, mais toujours "présent", ici et nulle part ailleurs, consistant dans sa neutralité même - et je me découvre de plus en plus incapable d'imaginer, de concevoir quelque projet au delà du moment où je suis, à croire que le désir, qui fut si vif, s'est en quelque sorte attiédi, désir de peu, désir qui à peine se soutient d'un mouvement vers l'avant, tant le futur me semble incertain, inconsistant, et en somme à peu près indifférent. Je n'attends rien, persuadé que rien de vraiment nouveau ne peut surgir, comme on dit que "plus ça change plus c'est la même chose" : "Eadem sunt omnia semper" - les choses sont toujours les mêmes, paraissant se modifier comme les vagues de la mer, mais ce sont toujours vagues à la surface, quand la grande mer est toujours identique à soi et inchangée.

Les événements ne font pas Histoire : il n' y a pas d'Histoire, hormis l'histoire des fantasmes humains, qui ne font pas histoire : tragi-comédie de l'existence humaine. Comédie des passions, tragédie du réel.

Si donc je puis parler de persévérance, c'est dans un sens très spécial : persévérer dans l'être, disait Spinoza, affirmer tant qu'il est possible son naturel et légitime désir, ici, le désir philosophant, mais sans illusion aucune, sans espérance aucune, étant entendu que ce désir n'a ni fondement ni perspective, surtout pas d'échapper au lot commun - et que même l'expression de Spinoza me paraît trop optimiste, s'il est patent qu'il n' y a pas d'être du sujet, nulle substance ni permanence, mais que, quel qu'il puisse s'entendre, il ne se soutient que de ce "conatus", de cet "effort", de ce "tonos", tension minimale par laquelle, d'instant en instant, il repousse l'échéance.

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Un mot encore : Lucrèce, qualifiant le "désir" épicurien, écrit : non plus quam minimum. Il en faut un peu pour vivre, mais loin des turbulences, des illusions. L'Epicurien, comme le Taoïste, se tient à l'orée du monde, là où le minimum de déclinaison ouvre un minimum d'écart par quoi s'écrit la tangente créative, au plus près du réel.

Quant au "tonos" (voir tonus, tonique, tonicité) il est, dans la pensée épicurienne bien différent du tonos stoïcien : le stoïcien, par la volonté raisonnable, veut se rendre digne de la raison universelle, tonos volontariste et moral - l'épicurien admet la nécessité vitale d'un tonos, mais celui-ci ne se rapporte à nulle Raison du Tout, à nulle providence immanente, il s'agit de la tension naturelle de tout vivant cherchant à se conserver selon les lois de nature.

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Commentaires
D
y'a le Soi, le Moi et le Ca. Vous etes le Moi, le Moi peut s'eveiller au Soi et au Ca { l'Inconscient en general pour faire simple } mais attention s'en se faire bouffer par l'un des deux...pour le Soi lisez Maharashi et Nisargdatta, pour le Ca lisez Jung et etudier vos reves selon sa methode. Plus simple tu meurs...
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N
bq de superficialité... est ce que deja vous avez la comprehension du Soi ? est ce que ensuite vous avez etudié jusqu'au bout vos reves selon les principes de jung ? voila deja 2 chemins qui menent a 2 eveils differents...
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A
Je suis un peu dans cet état d'esprit.<br /> <br /> Je l'ai appelé "Le désespoir intérieur"
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