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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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5 juin 2015

Le TEMPS et la DECLINAISON : LUCRECE

 

"Vois les gouttes d'eau qui tombent sur la pierre

Avec le temps elles finissent par percer cette pierre". Lucrèce, IV, 1286- 1287.

 

La pierre figure le stable, le solide, le permanent. Pourtant c'est l'élément fluide qui l'emporte à la fin, et tout à la fin, emporte toutes choses dans l'indéterminé. Entropie généralisée, loi de nature.

La pierre figure un système stable-instable, comme tous les systèmes, étoiles, pierres, végétaux, animaux, humains. Stable dans le court terme, instable, périssable dans le long. Un système se constitue, en des lieux, en des temps incertains (aléatoires, indécidables), fruit de rencontres aléatoires, assemblage et structuration, effet de la déclinaison.

Mais la déclinaison, ouvrant la spirale des tourbillons atomiques, est le seul et unique opérateur, qui, du même mouvement fait décliner la forme vers la décomposition : question de temps, comme on dit, et à la fin, l'organisme vivant retourne à la poussière. La vie est cette courbe, qui, de la conception comme déclinaison, petit écart par rapport à la droite, fait surgir le vivant à la lumière du jour, s'amplifie, et nécessairement entame un déclin, et finit par rejoindre la droite.

Nos montagnes, issues de la poussée tellurique, dans quelques millions d'années, rabotées par les pluies, labourés par les vents, ne se distingueront plus de la plaine. Retour au plan horizontal. A moins qu'une autre poussée, tout aussi aléatoire, ici ou ailleurs, ne fasse émerger une nouvelle chaîne, qui connaîtra le même sort.

Il y a peut-être quelque chose de cette idée dans le célèbre passage  de Montaigne : "Le monde n'est qu'une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'Egypte, et du branle public et du leur. La constance même n'est autre chose qu'un branle plus languissant " (Du repentir, début). Montaigne est sensible au mouvement universel, découvrant du branle même dans les choses apparement les plus stables : rochers et pyramides. Lucrèce décrit plus rigoureusement la courbe du changement, dont la déclinaison est l'opérateur universel, celui qui ouvre la série des naissances (foedera naturai) et qui est, du même mouvement, celui qui accomplit le déclin de la courbe. Point n'est besoin d'opposer la mort à la vie, d'inventer deux principes antagonistes comme faisait Empédocle (l'Amour et la Haine, soit la liaison et la déliaison) car la mort est inscrite dans la vie, s'il est patent, qu'à l'exception du Tout qui est toujours identiquement le Tout, sans accroissement ni déperdition, isonomie universelle, tous les systèmes locaux sont instables, impermanents et voués à la décomposition. Bouddha disait de même : tout ce qui est composé est voué à se décomposer.

Le Tout est stable et permanent, chaque forme, chaque existant est naissant-mourant. Question de temps pour les formes, éternité pour le Tout. On pourrait concevoir le temps comme la mesure du mouvement qui va de la naissance à la mort. Chaque système a ainsi son temps propre : temps de l'araignée, temps de l'étoile, temps de l'humain. Autant de temps que de formes, naviguant leur durée mortelle. Mais au total ces divers temps se ramènent à un non-temps, si l'on se place au point de vue de la totalité.

Tout branle sans cesse : cela veut dire aussi que toutes les choses sont prises dans un gigantesque tourbillon (la dinè de Démocrite), mieux encore qu'elles sont elles mêmes ce tourbillon, car le tourbillon n'est pas extérieur aux choses, le mouvement est partout dans les chose, emportées dans l'immense cataracte universelle, avec deci delà, des combinaisons viables, stables-instables, des naissances imprévisibles sous le contrat vénérien, des émergences, des déclins et des destructions définitives. Ce qui a vécu ne revient pas à la vie - il n'y a pas d'éternel retour - mais ailleurs, en des temps et des lieux incertains, sur d'autres planètes peut-être, d'autres Athènes verront le jour, d'autres formes de vie dont nous ne pouvons rien savoir. La Nature qui gouverne tout (natura gubernans), qui est le Tout, est décidément le seul et authentique poète.

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