Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 054 816
1 avril 2022

ART et CONTEMPLATION : Schopenhauer

 

 

"Si la philosophie est restée si longtemps effort vain, c'est qu'on l'a cherchée (la vérité) sur le chemin des sciences au lieu de la chercher sur celui de l'art". Arthur Schopenhauer.

La philosophie occupe une place originale entre science et art. De la science elle tient le souci de présenter les faits dans une solide armature conceptuelle. De l'art elle acquiert l'accès à la contemplation désintéressée. Schopenhauer expose la connaissance dans les concepts, qui permettent la présentation rigoureuse des relations causales : le monde comme représentation, donné comme objet à un sujet connaissant. Mais cette voie n'est qu'un moyen d'exposition, incapable par elle-même de nous faire pénétrer dans l'essence des choses. La grande intuition de Schopenhauer, son unique "idée", c'est la découverte du vouloir-vivre, qui ne découle pas d'un raisonnement, mais d'une saisie directe, qui s'effectue au premier chef, dans le réel  (le realissimum) de son propre corps, non comme corps objectivé dans la représentation - où il apparaît nécessairement comme objet parmi les objets - mais dans le corps vivant, sentant, "voulant", perception directe d'un vouloir antérieur à toute intellection, résistant à toute tentative de maîtrise, opposant sa logique propre à la logique de la raison. 

Le vouloir commande, et c'est par une sorte d'illusion naïve que l'intellect croît le diriger, comme font les platoniciens et autres idéalistes, qui prétendent diriger le corps et le soumettre par la raison. L'expérience s'élève contre cette assertion optimiste, et nous renvoie à l'humilité : la raison a t-elle jamais pu vaincre une passion ?

Si la raison ne peut domestiquer le vouloir, si le vouloir est la seule réelle réalité de l'homme et du monde, comment pourrions-nous gagner quelque liberté à l'égard de cette terrible exigence, de cette tyrannie, de l'implacable égoïsme qui anime tous les êtres de la nature ? La réponse, précisément, nous vient des enseignements de l'art, dont la contemplation est la substance. L'art, à la fois comme activité désintéressée, et comme contemplation désintéressée, nous permet de quitter momentanément l'implacable nécessité, l'aveugle et perpétuelle machinerie du vouloir. Oubliant de désirer, affranchi de l'intérêt égoïste et du souci de s'affirmer dans le monde, le sujet se fait pur sujet de la connaissance, non la connaissance rationnelle par concepts, mais la connaissance immédiate, intuitive du réel. Ce sont, à dire vrai, les seuls moments de vraie félicité, d'apaisement serein, de tranquillité joyeuse qu'il nous soit donnés de goûter, dans l'incapacité où nous sommes de nous affranchir définitivement de la volonté. Schopenhauer lui-même, qui rêve d'ascétisme, qui recommande la négation définitive de la volonté, ne sera pas le Bouddha de Francfort. Il en restera, dans les faits, à cette délicieuse pratique de la contemplation, entre écriture philosophique et pratique musicale. Il n'est point étonnant, dès lors, qu'il ait inspiré tant d'écrivains, d'artistes et de musiciens, gagant de ce côté un titre de gloire immortelle que son rival Hegel, si célèbre en son temps, ne connaîtra jamais.

Publicité
Publicité
Commentaires
D
Je trouve la remarque de Démocrite absolument pertinente en ce qui me concerne. Je pense que la création artistique ou philosophique, dans ce cas (mais n'est-ce pas la même chose tout compte fait?), est un salaire obligatoire rendu à la volonté. La vraie contemplation n'offre aucun reflet, elle requiert de rester plongé en soi, de voir le monde que notre corps-esprit peint sous l'image du troisième oeil de la conscience. Rares sont les personnes à avoir pu accepter le prix d'un tel silence, d'une telle non reconnaissance. Comme Hegel le dit, l'homme a besoin de prendre conscience de lui à travers le monde extérieur, ce dont l'art témoigne au plus haut point.<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai personnellement une profonde admiration pour les gens ayant renoncé à tout, ayant noyé les velléités de l'ego; je n'en suis personnellement pas encore capable. Tout dans l'expression artistique me semble être l'émanation du vouloir...
Répondre
G
L'objection de Démocrite est à la fois sérieuse et difficile à contester. Du point de vue d'Arthur Schopenhauer c'est la contemplation plus que la création qui est exemplaire. Faire c'est toujours un peu suspect, dans la mesure où la volonté ne saurait en être totalement absente, et il est vrai que les artistes pèchent volontiers par narcissisme, même quand ils ont une puissante force de distanciation. Aussi est-ce dans la seule contemplation qu'il voit une possibilité de taire les exigences impératives du vouloir, et de sauter d'un vol dans l'espace dégagé de la liberté. Je ne vois aucune raison de le suspecter d'hypocrisie : il parle avec enchantement du spectacle de la montagne, de la vision des arts florentins, et surtout du ravissement exceptionnel de la musique. Je le crois absolument sincère, mais la sincérité, en ce domaine, ne prouve rien. Mais de toute manière une preuve fera indéfiniment défaut.
Répondre
D
Certes, la pratique artistique se soustrait à l'utilitaire, au pragmatisme, mais la création, en tant qu'activité n'est-elle pas précisément l'expression la plus pure d'un vouloir parfaitement égoïste, centré sur la seule nécessité subjective (inconsciente) ? L'art n'est-il pas la forme la plus subtile d'une "prolifération narcissique et auto-centrée", d'un enfantement, marquant la réalité de l'espèce de sa puissance propre ? Schopenhauer fait oeuvre, sa survivance est évidente. Comment ne servirait-il pas l'espèce de son vouloir intransigeant ?<br /> <br /> Bref, l'égoïsme le plus achevé au service d'une contemplation désintéressée ? Ironie du vouloir vivre qui aime à se déguiser, nous faisant croire à la valeur désintéressée de l'art...c'est du grand art !
Répondre
J
Il m'est arrivé de parler de l'art en général et de la photo en particulier avec un Monsieur que je ne connaissais que très peu. Et, c'est ainsi que j'ai appris qu'il était prof de philo. Nous avons à partir de ce jour, créé un petit café-philo de moins d'une dizaine de personnes à Bayonne, jusqu'au jour où il fut muté au pays de Montaigne... C'est ainsi que je me suis intéressé pour la première fois à la philo. Cela dura de 2002 à 2005. Ensuite, je suis venu à Dax et ce fut le travail philosophique à outrance !<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai des tas de choses à revoir dans votre Jardin, il y avait un sale insecte appelé bug qui s'était installé dans mon ordinateur... J'ai dû tout réinstaller et maintenant, j'ai du pain sur la planche !
Répondre
Newsletter
155 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité