Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 491
17 avril 2015

La FOLIE INTIME

 

En cherchant bien, dans toute structure psychique, même chez les individus apparemment bien intégrés et développés, on trouvera un noyau secret de folie intime et privée, qui ne laissera pas d'étonner l'observateur. Le masque n'est jamais suffisamment étanche, il y a toujours un trou par où passe je ne sais quel vent de folie, quelle singularité mal assortie, quelle disposition asociale, ou envieuse, ou colérique, laquelle semble d'autant plus surprenante qu'elle contredit la forme sensible de la personnalité. Il paraît que Canguilhem ne pouvait faire cours sans développer une tonalité orageuse et coléreuse, dans son maintien et ses propos, qui n'avait aucune raison d'être, aucune justification, si ce n'est que, sans elle, l'orateur ne pouvait s'exprimer correctement. On dira que c'est sans importance, mais le psychologue, à l'inverse, y verra un thymos irrité qui exprime quelque chose d'essentiel, à la fois latent et inconscient. Gogol ne pouvait écrire sans disposer une bassine d'eau chaude sous son bureau, où il laissait baigner ses pieds. Simenon avait une rangée de pipes sur son bureau. Henry Miller écrivait alors qu'une femme nue se tenait à quelques pas. Pourtant il ne peignait pas, il ne faisait pas son portrait, simplement il puisait l'inspiration dans la contemplation de la nudité féminine.

Et puis, plus banalement, nous découvrons chez un ami que nous apprécions beaucoup je ne sais quelle mesquine radinerie, ou une disposition envieuse : est-il posssible que nous soyons trompé à ce point ? Un autre sera égoïste, ou vindicatif, ou pleutre, ou opportuniste. Et nous faisons le tour, et aucun ne résistera à notre examen. Décidément,nul n'est comme nous voudrions, chacun a sa faiblesse. Et puis, voilà que nous en revenons à nous-même : suis-je donc si parfait que je croyais, tel autre ne pense-t-il pas que je suis trop exigeant, trop idéaliste, trop sévère, trop imbu de moi-même? Ce que je reproche aux autes, les autres ne me le reprochent-ils pas en retour ? Et voilà que tout l'édifice, tout mon jeu de cartes s'effondre, moi y compris !

Je vois dans cet état de choses une raison structurelle, bien plus qu'une hypocrisie - sauf chez certains qui manifestement sont des hypocrites - car dans la plupart des cas ce n'est pas un calcul, mais l'expression d'un inévitable inachèvement de la maturation psychique et sociale. Et puis, raison supplémentaire, il y a toujours quelque chose qui résiste à la socialisation, un symptôme, une singularité affirmée, un petit délire inoffensif par où le sujet témoigne de n'être pas celui qu'on croit, d'affirmer une différence, en donnant modestement à son fantasme intime une discrète expressivité, quitte à paraître grossier, indélicat ou mal léché. Certains cultivent leurs douleurs, d'autres leurs vices, leurs tics et leurs tocs, quelques uns leur goujaterie, d'autres encore se font les héraults de causes absurdes, ne serait-ce que pour ne pas être assimilés au commun. C'est là le petit quelque chose qui résistera à toute analyse, à toute tentative de normalisation, qu'il faut admettre, à défaut de pouvoir le combattre.

J'en finirai avec Schopenhauer, qui, après avoir fait abondamment le procès de l'humanité, énumérant complaisamment les défauts et les vices, conclut qu'en fait toutes ces manifestations déplaisantes, ridicules et haïssables sont l'expression indirecte de la souffrance. A partir de là, nous pouvons parvenir, en nous appliquant l'analyse à nous même, à pratiquer l'authentique compassion (1), fondement premier et dernier de la morale. Les grands initiateurs de l'humanité, tel Bouddha et Epicure, sont des thérapeutes : il ont sondé l'origine de la souffrance et proposé des remèdes. C'est cela la vraie philosophie.

 

----

La pensée bouddhiste appelle cela Karuna : amour désintéressé, vertu qui est au fondement de la moralité.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité