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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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9 février 2015

MELANCOLIE de la CONNAISSANCE

 

 

Une mélancolie sans douleur ? Mais pourquoi parler de mélancolie, si ce terme est surchargé de représentations doloristes ? Il semblerait, à plus ample réflexion, que la mélancolie est fondamentalement liée à toute culture supérieure, à toute conscience lucide, à tout travail en profondeur dans les arcanes de la pensée. "Penser fait mal" - et la connaissance, je ne parle pas des savoirs objectifs et scientifiques, ne peut se développer que sur le terreau miné des incertitudes et des apories, jusqu'au jour où elle accède au fondement, et là tous les mirages de la connaissance vulgaire explosent, toutes les illusions cèdent devant l'évidence de l'indépassable. Butée du réel, épreuve du feu, borne infranchissable, limite absolue.

Confucius a dit : "C'est à cinquante ans que j'ai découvert la volonté du Ciel". Etrange parole, qui peut s'entendre de biens des manières. Quelle est cette "volonté du ciel" à laquelle il se réfère, dont il n'avait aucune connaissance antérieure, à laquelle il ne put accéder qu'à cet âge de maturité, après bien des déboires ? On sait que le Ciel chinois représente la loi générale de la nature à laquelle sont soumis tous des êtres, qui règle le cours des saisons, les cycles de naissance, de déveleppement et de  mort, mais aussi les affaires humaines, s'il est entendu que l'homme n'échappe pas à l'ordre cosmique, et que ses actes sont soumis, en dernière instance, à la législation universelle. "Que veut le Ciel? " se demande-t-il ? Parler de volonté est trompeur, si nous y projetons quelque intention consciente d'un être personnel, à la manière des représentations chrétiennes. Le Ciel n'est pas une personne, ni un Etre transcendant. "Volonté" est une métaphore. D'autant que cette "volonté" ne s'exprime pas dans une parole. Le Ciel est silencieux, comme sont silencieux les astres. L'homme se tient devant l'énigme d'un "Vouloir" impersonnel, immanent mais impératif. "Que veut le Ciel?" demande le sage. Dans l'incertitude de son non-savoir, il se sent tenu de répondre, et de prendre le risque de l'erreur. S'il se trompe, le Ciel ruinera ses entreprises. S'il réussit, rien ne garantit une quelconque reconnaissance. Il faut choisir, sans garantie aucune, sous la pression d'un impératif non formulé, énigme pressante adressée à l'homme, et dont il aura la responsabilité, et dans l'interprétation, et dans les conséquences.

On peut penser à la "vocation" de Socrate, interprétant la volonté d'Apollon comme un appel à la sagesse. Mais la position de Confucius est encore plus difficile, car si Apollon s'exprime dans le délire de la Pythie, rien ni personne ne fait signe à Confucius, si ce n'est une pure, inexprimable certitude intérieure.

Maître Kong décide que le Ciel lui enjoint de travailler sans relâche à la réformation de l'Etat et à la réformation de l'humanité. De travailler à réduire la souffrance dans ce siècle de guerres incessantes et de chaos. Mais, dans le même temps, il accepte modestement, humblement, noblement, que son entreprise puisse échouer, si, malgré ses éfforts, il ne parvient pas à interpréter correctement les situations et à proposer de mauvais remèdes. Quoi qu'il fasse, et aussi pure que soit son intention, ce n'est pas lui qui décide en dernier ressort, c'est "la volonté du Ciel".

Nous ne sommes pas Confucius, nous n'avons pas la passion de réformer. Mais cette expérience singuière, aussi "chinoise" soit-elle, conserve, à mes yeux du moins, une valeur exemplaire. Nous n'appelons pas le Ciel à la rescousse, nous savons qu'aucune voix ne nous interpelle, que l'univers est vide et définitivement opaque et mutique. Notre mélancolie à nous est peut-être plus entière encore, plus démunie et silencieuse, s'il est possible. Nous sommes tenus de faire émerger de nous-mêmes, de notre indépassable solitude et dénuement, une résolution impérative. Confucius savait que l'homme, que l'humanité restait sous l'égide de la nature universelle, ou, comme dira Spinoza plus tard, que "l'homme n'est pas un empire dans un empire", mais nous, aujourd'hui, nous avons oublié cette vérité, croyant, dans notre présomption, pouvoir décider de tout, sans limites ni bornes, de tout et de son contraire. Au fond, nous ne sommes pas encore assez "mélancoliques", dormant et rêvant les yeux ouverts, naufragés volontaires d'un bateau sans équipage.

"La volonté du Ciel", cela peut s'interpréter en termes résolument modernes, à la lumière de nos savoirs scientifiques et prédictifs. C'est la fonte des glaciers, la montée de la mer, la raréfaction de l'eau potable, la disparition des espèces, le chaos politique, le risque nucléaire etc. Rien de mystique là dedans, rien de farfelu. La réalité des faits, le fait brut et massif. La "mélancolie", c'est cette épreuve par où l'on passe pour prendre la mesure de la réalité, qui ne va pas sans déceptions, remaniements, et réajustements. Décidément, par la mélancolie il faut passer, si du moins on a pris la décision de continuer à vivre.

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