OPERA de l'AMOUR et de la MORT - ACTE III
ACTE TROIS
LE NARRATEUR
Cinquante-cinq ans
Une vie entière ou presque
Que j’ai oubliée,
Je ne m’y reconnais plus
A-t-elle jamais été ?
Je me sens tout nu
Tout neuf, natif, inconnu
Comme un nouveau-né
Et parfois je me sens lové
Dans les limbes du passé.
Etrange folie
De revenir en arrière
Au pays des limbes,
De sonder, à la frontière
Je ne sais quoi qui n’est plus.
Ni mort ni vivant
Je me tiens à l’origine
Et je ne sais plus
Si je veux rester ici
Y périr, ou revenir.
LE CŒUR MODERNE
Dans tout ce fracas
De galaxies qui explosent
De vents déchirés
Notre existence à vau l’eau
S’en va dans l’incertitude,
Et parfois le calme
A la surface des eaux
S’étale en souriant
Comme un rayon de soleil
Avant tempête et saccage
Dans l’indifférence
D’un univers sans limites
Sans rapport à rien
Nous jouons en solitaires
Notre chanson dérisoire.
GUY
1
Appellent-ils « Guy »
Celui qui vit, qui respire
S’agite en tous sens
Mais qui donc est « Guy », sinon
Le beau nom de leur désir ?
Pourtant la musique
De ce mot doux, insistant
Comme un chant d’oiseau
Appelle à je ne sais quoi
Et chante à je ne sais qui.
2
Sentir sans penser
Le parc au matin frivole
Les trilles du merle
La peau vibrant comme feuilles
Toute surface en éveil,
J’ai envie de danser
Comme les feuilles dans l’or
Bleu de la lumière
M’enraciner comme une algue
Soumise au flux de la brise.
3
Je rêve d’un ange
De lumière et de beauté
Sa main me fait signe
La musique de sa voix
Apaise la peur des nuits,
Et loin de ce monde
De pics, de rocs et d’abîmes
Je flotte léger
Bercé de doux alizés
Sur l’océan des nuages.
4
Beauté ma divine
Beauté de mon désespoir
Beauté de mes rêves
Notre illusion s’idolâtre
Dans l’enfer de nos miroirs !
5
C’est tout autre chose
Quelque chose d’inquiétant
Qui n’a pas de nom
Une oppressante lourdeur
Qui me laboure le cœur.
Pauvre soleil d’est
A moins que ce soit d’ouest
Entre deux trois noirs
Un monde mou, flou, flasque
Déchiqueté de bourrasques
L’image s’estompe
Toute réalité s’estompe
Je suis en exil
Dans un désert vacillant
De sel, de neige et de suie.
6
Quelque fois je sens
Le vertige me saisir
De la tête aux pieds,
Un tourbillon spasmodique
Me fiche dans un trou noir.
Dans ce fond sans fond
Seuls me retiennent encore
L’amour de l‘épouse
Le sourire de Bouddha
La musique de Mozart.
7
Au bord du cratère
Bouche béante et bouillante
Arrête le geste !
Regarde le feu s’éteindre
Tout doucement dans ton cœur !
8
Entre terre et ciel
Je suis debout, vacillant
Je cherche mon centre
Je ne vois rien que le vide
Indicible et silencieux.
Lentement je glisse
Loin du temps et de l’espace
A la source même
D’avant toutes les paroles
Et du silence lui-même.
Je suis en exil
Dans un inter-monde blême
Tout m’est étranger
Et plus encore moi-même
Fleur ou moisissure
Gastéropode ou rhizome
Croupissant au sol
Je ne sais plus qui je suis
Je me suis perdu moi-même.
LE CŒUR ANTIQUE
Etranger qui passes
Toi qui voudrais tout connaître
Ici arrête-toi !
Le vaste univers
Et les profondeurs de l’âme
Gardent leur secret.
Laisse donc agir
La grande force des choses
Qui te nourrira.
LA VOIX
Volant comme Icare
J’ai voulu la connaissance
Je me suis brûlé.
Pourquoi ai-je envie de rire
Dans le soleil du matin ?
GUY
Le temps s’est défait
Hier et demain sont des songes.
Je choisis l’instant
Qui glisse, roule et s’écoule
Toujours présent !
De longs moments je m’assois, je médite
Je rêve, je me laisse glisser
J’oublie le temps, j’oublie la vie
Je m’abandonne en résonance
A tout ce qui résonne et vibre, et qui jaillit !
Du fond de ce songe
Emergent comme des fleurs,
Les mots, les mots inouïs
Qui m’enchantent, qui m’enivrent
De divine poésie !
LE CHŒUR MODERNE
Rien ne naît de rien
Tout existe de toujours
Sans début, sans fin.
Nous passons comme un éclair
Dans le grand vide éternel.
Sans cause ni fin
Dans l’indéfini du temps
Tout tourne et retourne
Dans le grand vide éternel
Voltigeant et transitant.
Qui donc sommes-nous ?
Hélas, qui donc sommes-nous
Dans cet opéra
Dément, fumeux, fabuleux
Ce vide vertigineux ?
GUY
1
Merveilleusement
Dans la douceur du matin
Goûter la lumière
A travers le corps entier
Répandue comme du miel
Je me sens relié
Aux poètes du passé
A tous ceux qui surent
S’enivrer de la beauté
La chanter malgré leur peine.
2
Je sens la folie
Toute proche, qui me frôle
De son aile noire,
Mais l’oiseau de liberté
M’enlève vers l’infini
Et de ces orages
De ces nuées emmêlées
Jaillit par instants
Une joie inexplicable
Qui me ravit tout entier
Comme un nouveau-né
J’écarquille tous mes sens
Je vibre, je tremble
Quelque chose me submerge
Que je ne pourrais nommer.
3
Comme dans un rêve
Une réincarnation
Entre les deux mondes
J’ai fait un voyage étrange
Fastueux et terrifiant
Ni mort, ni vivant
Erratique et fantomal
Déterrant les morts
J’ai scruté les sarcophages
Fait parler les trépassés.
Difficilement
Je reviens à la lumière
Les yeux tout gâtés
Titubant comme un ivrogne
Tout hagard sur les pavés.
Qu’ai-je donc trouvé ?
Aucun savoir, nul trésor
Rien que je ne susse
Sinon que je suis vivant
Et que je le suis encore.
Refermant les tombes
Et m’éloignant à jamais,
Et seul désormais,
Je rends les morts à la mort
Je tends une fleur au soleil.
LE CHŒUR MODERNE
On naît, on souffre, on meurt
Parallèlement, solitairement
Comme des gouttes de pluie.
Parfois on se rencontre
Fleurit alors un arc-en-ciel
Fleur éphémère dans le ciel.
S’il n’est aucun espoir
De changer la destinée
Que l’art, du moins, nous élève
Dans la noblesse et la beauté !