ECARTELEMENTS VI : ADIEU CATHARES - Poésie 15
ADIEU CATHARES
Moi aussi l’Autre me manque
Mais le temps jamais.
La chair est la vérité même
Oh ne t’inquiète plus de tes pensées
Ce ne sont que buées.
Dans tes rêves passent quelquefois des anges
Et parfois tu te vois toi-même
Affublé comme un arlequin
Avec un chien de cirque, un éléphant rose
Un dauphin – sourire hollywoodien,
Ta femme te fait des crocs en jambes
Un chameau, sur la viole de gambe
Lancine un air très démodé,
Un singe bleu fait des claquettes
Et tu voudrais baiser lune d’or en été !
Ah n’être que soi, rien que soi
Ce petit tas de peau
Avec au centre un œil en trop
Qui voit, qui ne voit pas
Un petit moi sans importance
Qui va, qui va
Jouer le jeu, et sans y croire
Un œil dehors, un œil dedans
Oblique
Irrévérencieux
Inconsolable d’être né
A jamais différent !
Je suis une passoire
Mon corps coule de tous ses pores
Le corps est une nébuleuse
Une méduse flasque entre deux eaux
Qui s’effiloche
Un poulpe alternatif
Intermittent
Déturgescent
Evanescent
Ni tout à fait mort
Ni tout à fait vivant.
Ne rien tenir
Glisser
Et vogue la galère
Le temps comme la mer
Sans rien finir
Danse l’éternité amère
L’illusion c’est de vivre par l’Autre, dans l’Autre, magiquement redoublé dans conscience de l’Autre. Reflétée dans le miroir divin l’existence prendrait comme un relief de nécessité.
La véritable solitude, celle qui est vie en vérité, prélude dans l’évidence catastrophique : l’Autre n’est pas, le miroir est brisé. Rien ni personne ne pourra recoudre ses morceaux. Les instants ne s’ajoutent pas, ne se cumulent pas. Chaque instant passe, unique, happé par le néant.
On imaginait la vie comme l’édification d’un château. Pierre à pierre on construisait l’avenir. A la fin le château était solide, définitif, inébranlable comme les Ecritures.
Petit bémol : on oubliait la mort.
Ce château dit cathare
On croyait qu’il tiendrait très longtemps
Les croisés l’ont brûlé
Avec femmes et enfants
Et nous les cathareux
Cataractiques, calamiteux
Nous allons le chemin de la perdition
Rien n’y fait rien n’y change
Nous allons.
Nulle part de point fixe
De borne pour arrêter le temps
Sage ou fou, faible ou puissant
Nous glissons indistinctement
Rien n’arrête le temps.
J’ai rêvé d’un grand livre que j’écrirais, c’est sûr
D’un château de savoir
Toit du ciel, profondeur de la mer
Sagesse de tous les temps
Définitif, plus vrai que moi, plus haut, plus fort
Double miraculeux
Miroir intempestif
Mais les mots passent comme les gouttes
Les mots, toujours les mots
Mots passés, mots passoires
Usés, désemparés
Fantômes de branloire.
Mais la beauté merveilleuse de ton sourire
Ta lumière, ô Bouddha !
Tu ne dis rien, tu n’expliques rien
Ton regard glisse sur les eaux
Comme un peu d’eau
Dans la clarté du ciel jumeau !