ECARTELEMENTS I - POESIE 15
PROLOGUE
Nous creusons nos tombeaux avec nos dents
Et le soleil se rit de nous
Trou blanc extasié en dedans.
« Je cherche un lieu paisible entre les arbres
Où le corps délivré se repose et s’étire…
Pourquoi courir, mon âme, cette arène,
Mon âme lasse et fourvoyée ? Le jour déjà
Parle de nuit, parle de rêves lourds.
Ah s’endormir à l’ombre doucement
Et ne jamais se réveiller ! »
- Mais quelque chose en moi s’éveille
Irrépressible comme un cri,
La croix aux quatre pôles m’écartèle,
Le temps explose, et mille sources
Emportent les barrières
Font chanter les rochers.
O pays de la vie facile, ô reposoir
Je te quitte à jamais !
Je vais par les chemins du monde
Je m’abandonne à la voix cardinale
Je brise net le vase d’or
Au feu vivant je veux risquer ma vie !
L’AUTRE PAYS
I
Terre perdue, terre fermée, terre sèche,
Plus de fruits, de moisson, perte sèche,
Sans retour le chemin, ni salves ni regrets,
Guerre perdue, guerre oubliée, mauvaise guerre !
Route nouvelle, route en zig-zags, route oblique
Route sans route,
Route sans route, ou routage, ou tracé, ou balise,
Voie sans sillon !
Cet Autre quel est-il, incongru, indécidable, inconnaissable
Surface blanche, ciel délavé,
Visage sans contour, sans regard,
Œil crevé
Doigt coupé
Ciel béant, trou noir, opaque certitude,
Et sans être, plus réel que tout être,
Plus réel que toute chose-là !
Je m’avance à petits pas
Je trace quelques lettres flottantes
J’écris un nom, le vent l’efface
Je l’écris à nouveau
Je trace dans l’écorce
Je l’offre au matin clair
Inaudible alphabet, baiser premier
Aurore balbutiée.
II
Que je te suive, ô démon déserteur,
Rebelle et franc-tireur,
Ravages et saccages me soient fastes
A la belle heure, ô fossoyeur !
L’illimité est dans tes yeux, ô belle d’avenir
Belle plus belle que les plus belles,
Princesse d’aube, doigts de fée
Coulée du ciel sur notre terre !
III
Autre je suis
A moi-même étranger
Sans identité.
IV
L’Autre me perfore.
Son visage ouvre une brèche à la surface du monde
Par où passe le vent d’ailleurs
Le vent de l’autre monde,
Souffle d’inconnaissance
Gouffre et menace,
Et le don, et la grâce,
Par de là l’être même, le réel de tout être
Dans un temps infini qui n’est plus temps de l’être
Dans le temps d’un désir infini
A notre perte, à notre mort, à cou férir
Dans la gloire sans faste d’un futur
Qui par de là la mort nous dissipe et nous garde
Comme une trace d’avenir.
V
De toutes parts j’explose.
La vieille baudruche prend le vent comme voile
Se déchire en lambeaux,
Je ne suis plus que cette déchirure,
Mais de mourir plus que jamais vivant,
Je me dissous en paroles,
J’habite mes paroles qui tourbillonnent,
Déshabité de toute terre, de toute chair,
Plus léger, plus dansant, plus fluide,
Indéfiniment vif dans le vide éternel !