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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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9 janvier 2015

De la VERITE EN POESIE

 

 

De quelle vérité nous parle le poète? D'abord de sa vérité, qui pourait n'être que la sincérité, la conformité du dire avec le senti. Cette idée fonde ce qu'on pourrait appeler la poésie subjective, telle qu'elle a été promue par le romantisme, avec ses suites et ses avatars jusqu'à l'époque contemporaine. C'est davantage la véracité que la vérité au sens propre, ce qui se vérifie dans le fait que le lecteur ne peut apprécier ce genre de poésie que dans la mesure où il partage les mêmes affects, la véracité de l'un (le poète) rencontrant la sym-pathie de l'autre (le lecteur). Le poète répond généralement à cette difficulté en affirmant que le lecteur et lui-même ne font qu'un, unis dans la même participation à la commune nature, à l'universalité des conditions humaines.

Ce dernier point nous met sur la piste d'une conception plus profonde : il ne suffit pas de s'exprimer, il faut se mettre en demeure de dire l'universel - ce qui est une bien meilleure définition de la vérité, plus exacte et plus satisfaisante. Mais alors surgit un nouvelle difficulté : la poésie ne peut perdre son arrimage dans la subjectivité sans perdre son fondement même, risquant de glisser dans le discours philosophique, rhétorique ou démonstratif. Et l'on voit bien qu'il n'existe pas à proprement parler de poésie philosophique : entre poésie et philosophie il faut choisir, au moins dans le mode de présentation. Comment dès lors concevoir que la poésie, qui a sa racine dans la subjectivité, puisse se hisser à l'universel sans perdre son âme, et renier sa nature?

Pour y voir plus clair il faut commencer par distinguer le savoir et la vérité. Le poète n'a que faire du savoir, qui concerne le savant. Le poète est peut-être par excellence celui qui ne sait rien, ne peut jamais accéder à un savoir quelconque, et qui n'a aucune considération pour le savoir. Le poète se tient à l'origine des choses, à l'orée des surgissements multiples du monde et de soi-même. Il est éternellement en attente, en éveil, à l'affût, il se recueille dans le silence préalable, d'où surgit la présence du monde. Son silence est plus qu'un simple retrait, il est la condition initiale à partir de laquelle peut se produire la merveille, l'"agalma". L'agalma, la merveille, c'est la présence pure, hors langage, avant tout langage, avant la batterie signifiante des mots, leur cliquetis et leur bavardage. Etat de vacuité ; réceptivité silencieuse ; accueil inconditonnel. C'est l'affect, une émotion, un choc, une surprise ; c'est le percept, une sensation, une image, une note de musique, un air "mélancolique et tendre", c'est ce quelque chose qui surgit, on ne sait d'où, ni comment, ni pour qui, c'est l'inconnu, le non-nommé, le non-nommable qui ainsi ouvre une brèche, et dans l'étonnement de l'impréparé, dans des circonstances favorables, fait miraculeusement se lever un mot, une association impromptue de mots, parfois un premier vers, étrange, hors-sens, stupéfiant :

         "Ce toit tranquille où marchent des colombes" - Valéry, premier vers du Cimetière marin, qui selon l'auteur lui-même, a surgi, incongru et sublime, d'une nuit sans sommeil.

Mais alors, la vérité ?  La vérité c'est alètheia, le dé-voilement. Nous sommes piègés en cette affaire par la longue tradition classique pour laquelle la vérité est l'horizon du savoir, avec le fantasme d'un achèvement final où le savoir épouserait définitivement la réalité. Mais la première réflexion intelligente nous fait voir que l'ordre du réel est par essence étranger à l'odre du savoir : le mot n'est pas la chose et ne le sera jamais. Tournant le dos à cette chimère, le poète se détourne pour mieux se mettre à l'écoute, débarrassé de toute représentation conventionnelle ou langagière. Il se met hors langage, et à partir de là il accepte de se voir effracté, saisi, meurtri, enchanté par le surgissement (l'agalma comme émergence pure et nue du réel). D'où une autre définition de la vérité : est réel ce qui surgit, est vrai celui qui accueille, est vérité la parole qui rend compte, au plus près, de cette expérience. 

On dira que cette expérience est subjective. Evidemment, car hors de cette expérience il n' y a pas de poésie, ni de parole vraie. Mais elle est universelle, en droit sinon en fait, puisque chacun, quelque part dans son histoire, a rencontré, nécessairement, cette morsure du réel, ne fût qu'en naissant, puis dans les effractions successives de sa psyché, dans ses amous et ses deuils :

      "O mon amour, ma déchirure !" (Aragon) - effraction de l'Autre, effraction de l'affect, effraction d'un réel toujours méconnu sitôt rencontré, toujours voilé, et que le poète, c'est son honneur, se propose d'éterniser dans la conscience, par quoi seul nous sommes pleinement humains. 

Vérité, dé-voilement nécessaire, pour lutter contre la tendance quasi irrépressible de re-voiler, et d'oublier. La vérité c'est le non-oubli. - On remarquera que je propose une définition négative, non la pleine conscience, non la transparence parfaite, qui est l'apanage des dieux ("Seul le dieu est sage") - mais cette humble, cette difficile tâche de se ressouvenir de cela qui nous a heurté, blessé, rompu, effracté, et qui, reconnu et assumé, nous révèle à notre fondamentale et indépassable condition de mortels.

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Commentaires
E
Voilà que je comprends un peu mieux cette question de la vérité du poète... Merci pour ce texte éclairant ! Et que je trouve très juste !
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