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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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28 janvier 2022

HABITER POETIQUEMENT...

 

 

Hölderlin écrit :

"Mais poétiquement

L'homme habite sur cette terre".

 

Que signifie habiter ? Dans " habiter" résonne encore discrètement "habere" - avoir. Habiter c'est avoir sa demeure - ici, avoir sa demeure sur cette terre. Mais la terre ne va pas sans le ciel, ni la mer, trinité fondatrice. Habiter en poète c'est avoir relation aux éléments, au sec et à l'humide, au clair et à l'obscur, au masculin et au féminin, au visible et à l'invisible. Tout ce qui existe, qui vit et meurt, tout cela compose un monde, le monde poétique.

Il est vrai que l'on peut tout ignorer de la poésie, et de ce que pourrait être une vie poétique. Bien des choses sont répugnantes, grossières, violentes. Tout cela le poète le sait, il n'est pas dupe, il n'est pas un ange tombé des cieux. Il connaît en lui-même toutes les passions humaines, il les partage parfois, et parfois pire que les autres. 

Habiter en poète signifie peut-être être habité par la nécessité impérieuse de la langue, seconde demeure, après la terre, et aussi nécessaire et digne qu'elle. D'un certain côté la terre est suffisante, elle qui donne le pain et le vin. D'un autre, elle ne l'est nullement, car le pain et le vin supposent le partage, ne deviennent ce qu'ils sont vraiment pour les hommes que par le jeu réglé de la parole. Habiter poétiquement, c'est avoir souci de la communauté, lui offrir la médiation d'une langue juste et vraie pour fonder la demeure.

"Ce qui demeure, les poètes le fondent" écrit encore Hölderlin. C'est dans les poèmes que le jeune enfant apprend ce qu'il sent, ce qu'il pense, ce qu'il craint et espère. Tout ce monde intérieur, confus et nébuleux, impressions passagères, émois obscurs, pressentiments, promesses informulées, c'est par la médiation du poème qu'ils trouveront leur forme et leur statut, surgissant de l'obscur à la clarté du dire. Le poète est ce médiateur par qui s'organise une pensée, se forme un esprit, se modèle une sensibilité. Mais cela on l'oublie trop vite, dans le temps même où l'on repousse l'enfance dans les limbes. Parfois, à l'adolescence, un nouveau désir voit le jour, et l'on se met à composer soi-même, désireux d'ordonner l'insupportable chaos. Puis à nouveau, on oublie, et le plus souvent pour toujours.

Il en est quelques uns qui n'oublient pas, travaillés par une impérieuse et incompréhensible nécessité intérieure, eux qui portent en eux le chaos, et le désir de l'étoile. Ceux-là vivent de leur insatisfaction, de leur colère parfois, de leur dégoût, de leur incorrigible exigence de vrai. Ils ne se satisfont pas des chimères exhibées par le monde, des vaines espérances. Ils veulent le vrai, et le beau, aujourd'hui, sans délai. Ils opposent à la vulgarité, à la bassesse, à la sottise, leur courageuse outrance, car c'est toujours outrance, aux yeux du monde, que de vouloir le vrai et le beau. Ils composent, ils ne peuvent faire autrement, c'est leur démon personnel et fatal, leur folie privée, leur obsession infinie. Le monde, qui feint de les saluer, superbement les ignore. Mais ça n'a guère d'importance. Au final, c'est bien le poète qui a raison.

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Commentaires
G
Je fais de même pour votre blog, la beauté des images et des textes...<br /> <br /> Ce que vous dites de la poésie est très juste : une parole décalée, hors norme et éclairante.<br /> <br /> Pour la cosmologie vous me flattez un peu, mais il est vrai que je suis habité par l'immensité, et que j'aimerais pouvoir la célébrer, dès lors qu'elle est autant en nous qu'hors de nous. Merci à vous, chaleureusement...
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E
Cher Guy Karl<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt vos réflexions poétiques, et lu avec plaisir quelques uns de vos poèmes... Par ailleurs, ce mot m'est venu en vous lisant : une cosmologie. N'écrivez-vous pas une poésie cosmologique ? Et à travers votre parole poétique s'entendent les voix (et voies) des anciens : Hésiode, Héraclite, etc. C'est tout à fait passionnant. Je regrette juste de ne pas disposer assez de cette culture antique, mythique, et philosophique, pour mieux vous comprendre, vous entendre... mais peut-être avec le temps ? Ah, j'ai tant encore à découvrir et cette période de l'histoire m'est encore bien peu connue, hélas ! <br /> <br /> <br /> <br /> Ceci dit, vous abordez des questions qui me "parlent" ! Et je serais ravie de pouvoir échanger avec vous autour de la poésie notamment, de la langue, du langage, du sujet, de ce mode d'habiter "poétiquement" le monde, etc. <br /> <br /> <br /> <br /> Habiter poétiquement le monde : c'est l'unique caractéristique que je donne à mon blog personnel, tant la phrase du poète a résonné chez moi, presque comme une évidence... J'entendais cette expression de la sorte : une "invitation" à ce que chacun habite poétiquement le monde. Car pour moi, être poète, c'est nourrir un rapport "sensible" au monde, débusquer, faire surgir en mots, "la beauté de l'insignifiant". Essentiellement... Il me semble qu'à la différence du philosophe qui pense le monde, le poète ne donne pas du sens, il établit seulement des correspondances, à la manière du poème de Baudelaire : <br /> <br /> <br /> <br /> La nature est un temple où de vivants piliers<br /> <br /> Laissent parfois sortir de confuses paroles;<br /> <br /> L'homme y passe à travers des forêts de symboles<br /> <br /> Qui l'observent avec des regards familiers.<br /> <br /> <br /> <br /> Comme de longs échos qui de loin se confondent<br /> <br /> Dans une ténébreuse et profonde unité,<br /> <br /> Vaste comme la nuit et comme la clarté,<br /> <br /> Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.<br /> <br /> <br /> <br /> Bref ! Je vous relirais certainement. La poésie, la beauté, la vie, la mort, l'existence, le langage ne sont pour ma part, qu'une longue méditation qui se nourrit de celle des autres... Tout comme ma parole, ma subjectivité : n'est-elle pas composée que des paroles, des voix des autres ? Variable, hétérogène et floue, aux contours vagues. C'est ainsi, en tout cas, qu'en anthropologie du langage, l'on définit la subjectivité : une intersubjectivité. Et le poète pourrait être celui qui relie, celui qui à travers ses poèmes met en exergue les "liens", les attaches, les influences, les connivences, les correspondances qui font monde...<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, je pourrais en parler des heures... J'aime par ailleurs comment François Jullien perçoit le poète : celui qui parle sans dire, qui divague. Et me revient souvent cette parole de Christian Bobin : l'homme sage est celui qui s'égare...<br /> <br /> <br /> <br /> Bien cordialement<br /> <br /> <br /> <br /> Christine<br /> <br /> <br /> <br /> ps : excusez la longueur de ce commentaire... Je me permets aussi de placer votre blog dans mes liens.
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