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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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4 septembre 2014

De l' EXPERIENCE de la LIBERTE

  

 

 

Dans un premier moment la liberté s'éprouve comme suspension de toutes les contraintes, nécessités et obligations. C'est un moment exquis, où l'on goûte, à chaque fois, le plaisir d'un dégagement, la volupté de la dépréoccupation, moment de grâce, de facilité, de réconciliation. Soudain l'horizon s'élargit, le corps se dilate, la respiration se fait ample et souple, tout semble à nouveau possible, accessible, offert au courage du coeur. Ainsi donc la vie, la vraie vie, c'est cela, c'est cette ouverture infinie, c'est la mer infiniment étalée, brillante de feux innombrables, c'est le sentiment sublime de ne faire qu'un avec l'immensité : "m'illumino d'immense" disait le poète. Ou encore, à la maniètre de Rilke, le coeur nous dit "il faut changer ta vie !".

Ce moment est sublime, mais hélas, si éphémère ! L'humain pressent dans son être une sublime capacité de contemplation qui lui inspire le goût de l'infini, et dans le même temps lui en dérobe la jouissance. A peine dégagé de tout ce qui pèse et entrave, le voici qui retombe trop vite dans la pensée, avec le souci, son compagnon d'infortune et de misère, et ce qui parraissait si libre, si ouvert et disponible, il suffit d'une seule pensée pour en corrompre le charme, et nous ramener dans l'ornière. 

Le destin, qui nous offre la liberté, nous la retire du même geste, et nous navre d'autant.

Mais il reste que cette expérience est possible, puisqu'elle a eu lieu, et dès lors notre seul désir est de la renouveler encore et encore, de multiplier les occasions favorables, en attendant le retour de la grâce. On se met en quête d'une méthode de concentration, on s'entraîne à la relaxation consciente, on pratique des postures, des enchaînements, on observe le flux mental, on espère, par l'exercice assidu, provoquer l'expérience du libre, sans remarquer, dans ce désir, la contradiction manifeste entre l'effort de maîtrise et la souveraine gratuité du libre. Mais peu importe : l'essentiel est d'avoir vécu l'expérience, d'en avoir reconnu la valeur extraordinaire, et de se rendre disponible à son imprévisible jaillissement. "Si cela revient j'y serai" - voilà la juste attitude. Le reste est de peu d'efficacité.

Les Maîtres Zen se moquaient des adeptes qui se recroquevillaient dans d'interminables séances de méditation pour atteindre l'Eveil. "S'il suffisait de s'asseoir jambes croisées, les grenouilles auraient de longtemps réalisé l'Eveil incomparable et parfait".

Prenons-en acte : il n' y a pas de méthode. La seule chose que l'on puisse faire c'est de ne point trop vouloir, de se déprendre de toute intention, et d'être ouvert à l'ouverture  lorsqu'elle se fait : "Viens dans l'Ouvert, ami, accueille le Radieux !"

Et secondairement, se résigner à la loi de nature : l'émerveillement ne dure pas, il est de sa nature de se dissoudre, et l'instinct vital, et la structure de notre intellect nous ramènent très vite au cours ordinaire de la vie. Voilà que revient la pensée, la conscience du corps, et le temps, et nous revoilà dans la tourbe. Et sans aucun pouvoir de freiner cette descente irréversible, de l'infléchir ou de la redresser. Il est vain de protester, de regimber. C'est ainsi. J'ai le souvenir d'un moment extraordinaire de musique - c'était du Vivaldi - et j'étais comme un ange dans le jardin d'Eden, mais la musique s'est arrêtée, et je suis retombé dans le monde, et j'avais un profond désespoir au coeur...Et je sentais que rien ne pourrait restaurer l'émerveillement, qu'il serait vain de remettre le disque sur le plateau, que ce ne serait qu'acharnement pervers, et qu'il fallait lâcher, accepter le retour.

On peut renverser le raisonnement, et au lieu de gémir sur la perte irrémédiable, se réjouir du fait qu'une telle expérience de liberté ait pu avoir lieu, estimant que c'est une chance, un kaïros extra-ordinaire, et que si un bon génie, notre daïmon personnel, nous l'a insufflé une fois, il ne saurait nous laisser longtemps sans nous offrir de nouvelles opportunités. Parier sur le kaïros c'est parier sur le retour. Et de fait cela arrive, si toutefois nous nous mettons en position de recevoir.

De toutes manières cette expérience laisse des traces dans la psyché. Notre part à nous, j'allais dire notre "devoir", c'est de réserver une place vide à l'accueil de l'expérience, de ne pas la boucher, la saturer avec le vain désir de forcer les choses, de brusquer le retour, de maîtriser le processus, ou de construire de vaines représentations. Vide est le vide. Tout ce qu'on y ajoute est vaine farcissure, ou mauvaise littérature.

 

 

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