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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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2 avril 2014

L' IMPRESSION ETRANGE : méditation

 

 

Soudain cette impression, cette certitude : tout ce que nous pensons, sentons, désirons - une construction alambiquée, futilité, gratuité, imposture. Tout cela ne sert à rien, au regard de l'évidence immédiate, indicible. Comme un vertige qui emporte tout, gravité, nécessité, sens et valeur. Qui sommes-nous au bout du compte? Et d'où tirons-nous que nous sommes si différents de l'animal si, comme lui, nous ne faisons que naître et périr? Si nous ne vivons vraiment qu'à deux moments extrêmes, lors de la naissance et de la mort? Qu'à ces moments-là il n' y a pas moyen de tricher, que le dur du réel nous empoigne sans merci, sans recours, qu'il n' y a nulle échappatoire, que nous voilà jetés tout vifs dans la bouilloire de la vie ou transis sans recours dans la mort. A ces moments seul le réel agit, et nous sommes comme effacés dans la violence de l'irréversible. La loi de la vie et de la mort est toute-puissante, absolue. Entre les deux nous passons le temps à jouer avec le destin, à finasser, à barbouiller des sauf-conduits, à tricher, à inventer des palliatifs, Pascal dirait, à nous divertir.

Cette évidence je la vécus en un éclair, comme un jailissement imprévisible, inouï, moment de suspension, comme un abîme entre deux continents, et déjà la ronde ordinaire de la pensée reprenait son cours. Ai-je rêvé? Pourtant j'ai bien senti cela, je l'ai vu, éclair de terrible lucidité, foudre blanche. Et quand j'essaie, comme ici, de la formuler, elle perd instantanément son tranchant, sa force révolutionnaire, son extrême puissance de subversion. Face à cela, à ce vide constitutif, que signifient notre obsession de savoir et d'agir, notre affairement? Et je me dis : peut-être vaudrait-il mieux de n'avoir jamais accès à cette vérité-là, de rester sourd et aveugle, de croire à la nécessité du monde, au sens, à la valeur, aux illusions de la vie. D'ailleurs toutes les sociétés, par défiance naturelle, par bon sens peut-être, conspirent toutes à effacer ce sentiment de vacuité, à multiplier les occasions de se réjouir et de s'affliger, à divertir tout un chacun de mille soucis, occupations et obligations, à remplir le temps, à boucher les orifices, à entretenir mille passions fastes ou funestes, labeur et peine, travail et loisirs, croissance et guerre, production et destruction, religions et idéologies - guerre inlassable à la fainéantise, à l'oisiveté, à la rêverie, à l'inutilité sous toutes ses formes. Que chacun s'occupe, voilà le mot, et on l'inventera mille machines sophistiquées, mille gadgets séduisants pour solliciter les passions, les entretenir et les cultiver.

Le pire, pour toute société, pour tout individu, c'est la révélation du vide, de ce vide qui sous-tend et creuse toutes nos représentations. Moment schizophrène, s'il s'agit bien d'une schize, d'une rupture dans le continuum de la vie. La plupart du temps on referme vite fait, on passe outre, on oublie, on s'occupe ailleurs et autrement. On peut aussi, c'est moins fréquent, faire halte, considérer, réfléchir : " ainsi donc la vie, ce n'est que çà, tout çà pour çà? - il en va de la vie comme de l'amour, dont on nous rabat les oreilles, pauvre spasme qui se résume à entretenir la génération et le sentiment de nécessité?" Comment éviter l'épreuve d'un radical désenchantement? Voire même d'un dégoût universel?

On peut s'arrêter là et planter sa tente sur la terre aride du nihilisme. C'est inconfortable, généralement un peu hypocrite : feignant de ne pas vivre on continue de vivre, mauvaise foi, entre la honte et la bravade. On peut aussi, cela me semble plus courageux, prendre acte de l'"inanité sonore", s'en remettre à la sagesse de l'instinct, opter pour la vie : sans fondement ni assise, sans justification, assumer l'illusion, dans un étrange paradoxe où, sans illusion sur l'illusion, on la reconnaît nécessaire, on décide en toute clarté de la vouloir - comme dans l'art. La vie comme illusion esthétique. C'est un jeu, rien qu'un jeu, sérieux par certains côtés, grave souvent, et par moments jubilatoire. Et puis on n'est pas tout seul, le jeu est plus gratifiant à plusieurs, plus excitant. Il est au bout du compte plus poétique et réjouissant de vivre par jeu que par devoir.

 

 

 

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Commentaires
G
J'aime bien ces textes, ils sont simples, expressifs et superbes. Merci
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K
Les pieds sur la terre ,la tête dans le ciel, voilà l'homme du Tao ,<br /> <br /> <br /> <br /> Abandonnant le concept , abandonnant l'esprit ,<br /> <br /> abandonnant l'objet , abandonnant le sujet ,<br /> <br /> dépossédé , voilà l'homme du Tao.<br /> <br /> <br /> <br /> Abandonnant les projets chimériques , dépris ,<br /> <br /> ouvrant les yeux sur le monde ,<br /> <br /> délivré ,réconcilié ,voilà l'homme du Tao .<br /> <br /> <br /> <br /> Comprenant qu'il n'est rien en dehors de la réalité ordinaire,<br /> <br /> voilà l'homme du Tao .<br /> <br /> <br /> <br /> Il n'est aucun Tao en soi qui puisse être recherché ou cultivé ,<br /> <br /> le sage abandonne et oublie le Tao .<br /> <br /> <br /> <br /> Extrait de "recueil de la colline du sud "<br /> <br /> <br /> <br /> NAN SHAN
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A
Magnifique texte bravo!!!
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C
Puisque tes jours ne t'ont laissé<br /> <br /> Qu'un goût de cendre dans la bouche,<br /> <br /> Avant qu'on ne tende la couche<br /> <br /> Où ton coeur dorme, enfin glacé,<br /> <br /> Retourne comme au temps passé<br /> <br /> Cueillir près de la dune instable<br /> <br /> Le lys qu'y courbe un souffle amer<br /> <br /> - Et grave ces mots sur le sable :<br /> <br /> Le rêve de l'homme est semblable<br /> <br /> Aux illusions de la mer.<br /> <br /> P-J Toulet<br /> <br /> <br /> <br /> Ce que nous croyons être notre moi est le produit aussi fugitif et aussi automatique des circonstances extérieures que la forme d’une vague de la mer.<br /> <br /> Simone Weil
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