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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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12 mars 2014

Du CORPS comme multiplicité pulsionnelle

 

 

La grande erreur de Descartes fut de concevoir - outre la séparation ontologique du corps et de l'âme - le corps comme "étendue" : spatialité et matérialité, et l'organisme comme machine. De là une physiologie mécaniste qui renouvela l'approche anatomique, mais qui contribua fortement à méconnaître la puissance interne des organismes, la dynamique de croissance, les capacités d'adaptation et de renouvellement. L'organisme n'est pas une machine, même si certaines relations causales peuvent se décrire à l'aide de ce modèle. A l'inverse il faut se méfier des modèles finalistes : dire, comme Aristote, que "la nature ne fait rien en vain" ne nous éclaire pas sur le fonctionnement des organismes vivants. Tout au plus peut-on dire : tout se passe comme si l'organisme visait sa propre persévération dans l'être, ce qui amena certains à parler de "téléologie" naturelle. Encore une fois ce n'est qu'un modèle, valable jusqu'à un certain point, et trompeur sitôt qu'on confond le modèle et le réel. Avouons que nous ne savons pas ce qu'est un corps, que le corps est une énigme, ce qui ne doit pas décourager de nouvelles et plus fécondes approches.

La perspective ouverte par Nietzsche dans ce domaine est tout à fait révolutionnaire, quoique méconnue. D'abord il récuse l'idée que le corps ne serait que matière, allant jusqu'à soutenir que "la matière n'est qu'une interprétation" - entendons : lorque nous parlons de matière nous croyons saisir un fondement réel, indubitable, le fondement ultime et absolu, le réel en soi, alors que "la matière" est une idée que nous plaquons sur les choses, une représentation commode qui nous donne l'illusion de parler enfin de quelque chose de réel - alors que par définition le "réel" est hors de toute représentation, hors langage, parfaitement inconnaissable. Il est dès lors facile de démasquer dans le discours scientifique une tenace méconnaissance, une illusion constitutive, une sorte de skandalon originaire, une erreur si l'on veut, féconde d'un côté et stérilisante de l'autre, comme on voit dans un certain matérialisme naïf partagé par la plupart des savants.

Si nous rejetons l'idée de matière que reste-t-il? Il reste ce que nulle observation ne peut contester, le jeu des instincts, des pulsions et des affects dont la manifestation chatoyante, multiple et diverse, infiniment mobile et toujours recommencée, observable dans le végétal, l'animal, l'humain, à toutes les époques et dans tous les lieux. Schopenhauer disait "vouloir-vivre". Nietzsche dira "volonté de puissance". Quoi qu'il en soit de la valeur de ces appellations, reste le fait, massif, indiscutable : la vie est tension, tendance, effort, mouvement, inclination, préférence, donc instinct, pulsion, interprétation. Chaque organisme, à son niveau, et selon les potentialités du milieu, selon les rapports qu'il entretient avec ses congénères, amis ou ennemis, agit et pâtit, est affecté, affecte, donc interprète, assimile et rejette, modifie son environnemment, construit à sa manière spécifique un "monde" pour soi. A chaque espèce son monde, à chaque individualité organique son monde. Si l'on veut conserver la notion de matière ce sera au prix de la soumettre toute au primat de la disposition instinctuelle : c'est l'instinct qui façonne la matérialité de l'organisme et non l'inverse.

Pour l'humain la situation est particulièrement complexe : vue l'immaturité constitutive du petit de l'homme, vue son inachèvement instinctuel à la naissance (on pourrait définir l'homme comme l'espèce qui souffre d'un défaut instinctuel) c'est la culture qui prend le relais et construit un monde de significations, lesquelles vont modeler, structurer, in-former l'enfant, sur un plan global, somatopsychique, déterminant largement la forme du corps, son organisation interne, sa puissance relative, ses capacités et ses inhibitions, traçant un axe de développement, fixant des objectifs et des limites, exhibant du sens et de la valeur. Il est bien difficile, dans ce complexe extraordinairement touffu, et assez vain, de distinguer ce qui relève du corporel et du psychique. C'est tout un, allant du même pas dans le sens imposé par la culture, et par la langue au premier chef. D'où ce fait indéniable : à chaque culture particulière son système de valeur particulier, et ses "types" particuliers. Qu'y a-t-il de commun entre le guerrier d'Homère et le financier de Wall Street?

Retour à notre question : s'il est possible de décrire certaines typologies du passé (et Nietzsche le fait abondamment dans ses écrits polémiques) ces typologies ne valent qu'à éclairer, en ricochet, ce que pourrait être une nouvelle typologie du corps, et du corps-esprit, pour notre époque, avec le souci constant et affirmé de réduire les tendances thanatocratiques partout à l'oeuvre, de les circonscrire et de les lier, puisqu'on ne peut ni les éliminer ni les ignorer, de les soumettre à la domination des puissances de vie, tendances artistes et plastiques, tendances affirmatives et créatrices qui font la beauté de la vie.

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"Nous participons non seulement de la vie animale mais aussi de la vie végétale ; nous partageons avec les animaux supérieurs des instincts, sentiments et affections communs. Il me semble qu'il y a une sorte de bassesse à vouloir ignorer ce lien. Je pense que les êtres humains seront peut-être plus humains quand ils prendront conscience que leurs compagnons subordonnés vivent une vie dont participe la vie humaine (...)." Charles Darwin
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