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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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28 février 2014

Le VOULOIR et l'INTELLECT : SCHOPENHAUER

 

 

"Il y a deux Histoires : l'histoire politique, et celle de la littérature et de l'art. La première est celle de la volonté, la seconde celle de l'intellect. Aussi la première ne cesse d'être inquiétante, et même terrifiante : peur, meurtre, trahison, et horribles massacres en masse. La seconde, au contraire, est constamment satisfaisante et sereine, comme l'intellect dans son isolement, même quand elle décrit des voies erronnées. Sa branche principale est l'histoire de la philosophie. C'est, en quelque sorte, la basse fondamentale, dont les notes résonnent jusque dans l'autre Histoire, où, même là, elle gouverne fondamentalement l'opinion : or, c'est l'opinion qui gouverne le monde. Bien comprise, la philosophie est donc la force matérielle la plus puissante, bien qu'elle n'agisse que très lentement".

De qui ce passage? D'un optimiste? D'un philosophe des Lumières? Pas du tout. De Schopenhauer, réputé le plus pessimiste de nos penseurs. On y reconnaîtra l'opposition maîtresse entre la volonté (le vouloir-vivre), agent de l'activité absurde et répétitive, et l'intellect, capable de contemplation désintéressée, source de toute culture authentique. Schopenhauer exprime ici une confiance, assez surprenante chez lui, à l'égard des potentialités de l'esprit, alors que partout ailleurs il souligne les effets délétères du vouloir-vivre, rappelés en début de texte : "peur, meurtre, trahison, massacres en masse", ingrédients ordinaires, hélas, de la passion politique.

On se souvient que Schopenhauer envisageait trois remèdes au malheur universel, destinés à réduire, puis à supprimer le voulor vivre : la voie contemplative de l'art qui nous permet de suspendre le désir, la voie morale par l'exercice de la pitié, et l'ascétisme dont l'effet direct est de supprimer totalement le vouloir. C'est, à mon sens, le point le plus faible d'une philosophie par ailleurs directe, vivante et lucide. Il est à remarquer que l'auteur lui-même, qui admire Bouddha, se reconnaît incapable de pratiquer l'ascétisme : il ne sera pas le Bouddha de Francfort. Mais pour la théorie de l'art il sera reconnu très vite comme un maître, un précurseur et un inspirateur inépuisable. (Voir Clément Rosset : "L'esthétique de Schopenhauer")

Mais le point important est le suivant : l'intellect est-il capable d'amender la férocité du vouloir, d'en réduire les effets dévastateurs, de conduire l'humanité à la tolérance et la paix? Cette question, d'Héraclite à Freud, de Bouddha à Jung traverse toute l'histoire de la philosophie. Freud la posait en ces termes  : suffit-il de comprendre l'origine de la souffrance pour la guérir? Il semble bien que non, ce qui nous plonge dans un abîme de perplexité : si l'intelligence n'y suffit pas, quel sera le recours? Comment favoriser, dans l'inconscient lui-même, une modification de structure qui ait un effet apaisant et salvateur? C'est le skandalon, la pierre d'achoppement, l'obstacle énigmatique par lequel se produit l'incurabilité, l'inguérissabilité du malheur et de la souffrance : le vouloir aurait toujours le dernier mot, ce que vérifie abondamment l'histoire contemporaine.

Cette constatation justifie un indépassable pessimisme. Et pourtant, comment l'homme de bonne foi pourrait-il se résigner? L'histoire raconte que Confucius, chassé de partout, n'en continuât pas moins de promouvoir le juste et l'honnête, selon l'esprit de la Voie, témoignant pour l'avenir dans le désarroi du présent. Bouddha de même. C'est le mérite des Grands de ne pas céder sur l'essentiel, de donner l'exemple du possible. Comment firent-ils? D'où tirèrent-ils cette formidable énergie que rien ne sut briser? Je ne sais. Mais ce qui compte c'est que cela fût possible. Et donc cela l'est encore et à nouveau.

 

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Plus près de nous, Hubert Reeves, interrogé sur le spectacle désolant du monde d'aujourd'hui, répondit qu'il était "volontairement optimiste", entendons optimiste par décision, et nullement par inclination.

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Commentaires
K
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour ce texte enrichissant. Je sors d'une relecture de Céline Voyage au bout de la nuit roman philosophique très nihiliste mais sans solution. Shopenhauer, comme Niezsche proposent des alternative au vouloir-vivre ou pourquoi vivre et c'est ça aussi la force d'une philosophie pragmatique donc efficace ontologiquement.
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P
"[...] concilier une pensée pessimiste et une action optimiste. C'est là le travail des philosophes."<br /> <br /> Albert Camus (La crise de l'homme)
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