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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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10 janvier 2014

CONNAIS TOI TOI-MEME, et tu CONNAITRAS l' UNIVERS ET LES DIEUX.

 

 

"Je me suis cherché moi-même", déclare Héraclite. A quoi répond la sublime devise du temple d'Apollon à Delphes : "Connais toi toi-même, et tu connaîtras l'univers et les dieux".

Ce que j'admire dans cette objurgation c'est son caractère universel : se connaître soi-même n' a de sens que rapporté à la connaissance du Tout, "l'univers et les dieux" - et les hommes évidemment, situés à la juste place entre la nature et les dieux. Idée qui nous est devenue si étrangère que nous avons le plus grand mal à en pénétrer le sens et à en saisir la portée. Pourtant elle seule est juste.

Ceci remet à une place secondaire le souci par ailleurs légitime de la quête psychologique du moi : car, au bout du compte, qu'est ce qu'un moi qui ne saurait se situer correctement dans le tout, et moins encore faire en soi la place réservée aux dieux. C'est la limite de ces entreprises thérapeutiques où le seul souci est de parvenir à l'autonomie du sujet - but respectable et nécessaire en soi, mais insuffisant à qui possède quelque fibre philosophique. C'est l'originalité de Jung d'avoir cherché un fondement à la subjectivité, encore qu'on puisse contester la direction un peu trop mystique ou alchimique de son entreprise. Je me méfie, comme de la peste, de toute réactivation des croyances et des idéaux religieux, désireux d'établir fermement la fondation sur le réel, le seul réel, pensé comme absence de toute détermination imaginaire - vacuité, trou noir et abîme insondable.

Nous ne pouvons vraiment connaître l'univers, mais nous pouvons penser, par de là les représentations symboliques de la science, que demeure, inviolable, ce fond d'indétermination et de création dont nous sommes les lointains rejetons : enfants des étoiles, peut-être, émanations tardives et interrogatives, fruit du hasard des combinaisons innombrables, jetés dans l'Absens cosmique, aléatoires et étonnés. Je ne vois nulle nécessité, ni causale ni finale, à ce processus universel, mais je me range humblement à la loi commune de nature, rempli de grâce et de gratitude pour ce Kairos improbable qui m'a tiré du néant et jeté aux rives de la lumière. Cela ne fait pas sens, mais cela confère une sorte de beauté grave et allègre aux instants qui passent, où je passe moi-même comme un peu d'écume sur les crêtes lumineuses de la mer universelle.

Mais les dieux? Pourquoi des dieux, quand chacun sait qu'il sont morts depuis belle lurette. Eh bien non! Les dieux ne meurent pas, ils changent simplement de forme et d'attributs. Certes je ne crois ni à Apollon ni à Zeus, dans leur définition antique, encore moins au dieu d'Isaac et de Jacob, mais je vois bien qu'il existe des forces cosmiques dont la science donne des définitions relatives, je vois bien que ces forces ont un caractère de nécessité infrangible, et que tout notre savoir n'en réduit ni la puissaance ni les effets. Eh bien, j'appelle dieux, à la manière d'Empédocle, les éléments naturels, les limites du pouvoir humain, les figures dans lesquelles se révèle à nous l'inconnaissable du réel. En quoi la poésie a des beaux jours devant elle, elle qui nous fait sentir la présence de l'agissant, du permanent dans le mouvement même, la puissance du fleuve, dont les eaux sont à la fois toujours nouvelles et indéfiniment les mêmes, dans la lumière où brillent les dix mille êtres de la nature, "incorrutibles et bienheureux", toujours mourants et toujours renaissants dans la prodigalité infinie du fond universel.

Il y a un fantastique paradoxe dans la connaissance de soi : se cherchant soi-même on se sépare, on quitte son père et sa mère, et ses maîtres, et ses idéaux, et ses références, on se découvre seul et nu, mais libre. Et puis, dans une étrange mais nécessaire contradiction, toute évidente mais souvent mal comprise, on découvre la source dont tout procède, cette source autre, naturelle et omni-présente, qui soutient toute vie et toute entreprise, hors du commerce ordinaire des hommes, par quoi le sujet est posé dans une sorte de nécessité gratuite, étrangère à tout discours, où se révèle la joie véritable, celle qui fonde la secrète participation à la Nature universelle.

Cette intuition-là, elle est dans Héraclite, dans Empédocle et dans quelques-uns parmi les meilleurs. Je ne sais si elle a quelque résonance pour les hommes d'aujourd'hui.

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Commentaires
P
Bonjour, jsute en passant, notez que la seconde partie de la citation évoquée ("et tu connaîtras l'univers et les dieux") est un ajout d'un auteur anonyme du début du XXe siècle. La maxime inscrite sur le fronton du Temple d'Apollon à Delphes était "uniquement": "Connais-toi toi-même". De plus, on l'attribue généralement à Socrate mais il est fort probable que cette maxime ait été dictée par Thalès de Millet.
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Z
Avis d'un béotien en chute dans le trou du savoir... qu'on associe aisément à un oracle penché dessus, cette sagesse mythique et supposée, qui peut être toute entière faite de la seule crédibilité anthropique de celui qui la distille.<br /> <br /> Je soupçonne Socrate de s'accrocher à la vertu.<br /> <br /> Je suis un béotien profondément touché par cette sublime devise "Connais toi toi-même, et tu connaîtras l'univers et les dieux", pourtant écartée des investigations sérieuses par Wikipedia.<br /> <br /> Elle veut dire pour moi qu'il en est assez des dogmes établis par la fabulation ou la rationalité, que cette opposition ne fait pas sens. Elle rappelle que rien ne doit échapper au doute. Le seul lieu sacré où l'on puisse trouver des réponses est dans nos cellules, on y trouve toute la cohérence du monde. L'humilité n'y a pas plus sa place que la prétention sauf pour le prétentieux qui est sur de savoir, comme une part de moi vient de le faire.<br /> <br /> Finalement cette devise est très punk.
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A
Jean Claude<br /> <br /> La clarté de votre écriture commentant les textes, les rendent moins hermétiques pour les non initiés à la philosophie antique comme moi .<br /> <br /> Sincèrement
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D
Cher Zetetikos, <br /> <br /> J'en appelle simplement ici à la culture grecque : l'idée d'un moi substantiel est inconnue aux grecs et avec elle l'idée de sujet individuel. Il ne vous a pas échappé que je ne suis pas l'auteur de cette formule. Aussi, soutenir que l'ego est vide comme entreprise d'identification solipsiste est évident parce qu'elle ne signifie rien pour un homme de l'Antiquité. Le problème n'est donc pas là.<br /> <br /> Se connaître soi-même renvoie aux rapports étroits que les grecs entretiennent avec la nature (le cosmos) et les dieux. Il y a une vérité de ce rapport qui nous est devenue difficile d'accès. Le texte de Guy témoigne de cette relation malheureusement souffreteuse. Il est essentiel de l'exhumer sans recourir à des illuminations ou à l'éveil bouddhique qui me paraissent et l'un et l'autre hors sujet.<br /> <br /> Les références à l'Inde, à la Chine, à l'Orient en général sont les nouvelles "tartes à la crème" d'un exotisme philosophique bon marché d'autant plus suspect qu'il est avancé par des occidentaux totalement occidentalisés.<br /> <br /> Bien à vous.
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J
La maxime la plus célèbre de Socrate est extraite d’une inscription gravée au fronton du temple à Delphes, qui exhortait les voyageurs à l’humilité. Elle a traversé les siècles et s’accorde aujourd'hui à l’air du temps, puisque nous avons tendance à y avoir une invitation à l’introspection (ou, peut-être même, au « développement personnel »). Pourtant, elle constituait aux yeux de Socrate un principe de morale plus que de psychologie.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour le philosophe grec, le vice et le malheur dérivent le plus souvent d’une ignorance de soi. Il faut donc s’efforcer d’amener les hommes à comprendre réellement ce qu’ils sont si l’on souhaite les conduire au bonheur et à la vertu. Pour cela, Socrate aide ses interlocuteurs à s’interroger sur leurs propres qualités et à chercher des définitions susceptibles de déchiffrer le sens véritable de leurs actions. Seul celui qui sera ainsi instruit de lui-même cherchera à acquérir ce qui lui manque et s’abstiendra d’entreprendre ce qui est au-dessus de ses capacités. L’observation critique de son être le rendra capable de modérer ses plaisirs, de se suffire à lui-même et surtout… de se garder du mal. N’y succombent en réalité, pour Socrate, que ceux qui en ignorent la véritable nature et pensent en tirer profit. S’ils le connaissaient, comment pourraient-ils le désirer puisqu'il rend malheureux ?<br /> <br /> <br /> <br /> Il n’est donc pas question d’égocentrisme ou de narcissisme dans cette fabuleuse injonction. La connaissance de soi est la condition fondamentale de la sagesse, de la liberté et de la vertu. Elle fut pour Socrate et demeure jusqu'à aujourd'hui au cœur de la philosophie.<br /> <br /> <br /> <br /> Citations philosophiques expliquées – Éditions Eyrolles Pratique (2008)<br /> <br /> <br /> <br /> Voir également le "Ménon". Avec Christophe Lamoure, prof de philo à Anglet, nous avons planché pendant un an sur cet ouvrage de Platon. Monsieur Karl sait de qui je veux parler... Il suffit de cliquer sur Kalos dans la colonne de droite du présent blog. De plus, être soi-même, c'est avoir le courage de se servir de son véritable prénom. Je m'appelle Jean-Claude et je ne vois pas pourquoi j'irai cher un pseudonyme dans un imaginaire parfois absurde...<br /> <br /> <br /> <br /> Il a donc fallu que je m'en remette non plus à ma mémoire historique de la Grèce Antique, pour préciser ce qui était gravé dans la pierre et ainsi mettre un point final à ce sujet purement philosophique. J'ai donc dû recopier ce que j'ai appris il y a déjà pas mal de temps...
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