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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 décembre 2013

De la TROMPERIE du SAVOIR

 

 

Qu'est ce qui motive une personne à entreprendre une psychanalyse? On dira sans doute : la souffrance. Certes, mais la souffrance pousserait plutôt vers la médecine, supposée soigner les maux du corps et du psychisme. Ou alors vers la religion, ou les sectes. Ou encore vers diverses formes de psychothérapie qui vous proposent des remèdes plus rapides et parfois plus assurés. La psychanalyse se soutient d'un désir plutôt étrange, assez rare, de savoir. Etrange en ce qu'il faut une étrande disposition personnelle pour penser que le mal vient de l'ignorance et que le savoir puisse guérir. Et de plus il y faut une expérience déjà ancienne, et confirmée par l'expérience même, de ce que l'ignorance fasse souffrir, ce qui, à son tour suppose une sorte de déception archaïque, un dépit, une trahison peut-être, où l'enfant a perçu qu'on lui ment, ou qu'on le laisse dans une incertitude insupportable quant à son être, son origine, sa filiation, sa place dans la constellation familiale, et dans le monde. Quelque chose a vacillé très tôt dans la formation de la conscience de soi, ce qui crée cette exigence radicale, cette question insistante : "je veux savoir qui je suis" et corrélativement la formation et la persistance d'un mythe personnel : "si je savais je pourrais supprimer ma souffrance et accéder à un degré supérieur d'existence".

Cette analyse me semble également pertinente pour le désir de philosophie, voir Platon expliquant, à la suite de Socrate, que c'est la conscience de l'ignorance (je sais que je ne sais rien) qui engendre l'acte de philosopher. Quand la psychanalyse n'existait pas on devenait philosophe. Aujoud'hui on peut balancer entre la philosophie et la psychanalyse, ou pratiquer les deux à la fois. Je remarque aussi que la démarche bouddhique repose intégralement sur le dégoût du samsâra, et la compréhension de ceci : le samsâra conditionne l'ignorance qui à son tour conditionne le samsâra. On peut imaginer qu'aujourd'hui le même homme pratique à la fois la philosophie, la psychanalyse et le bouddhisme.

Revenons à la question de fond : un sujet, s'estimant victime de l'ignorance, fortement désireux de savoir, estimant que le savoir seul puisse apaiser sa souffrance, entame une démarche de connaissance. La question devient : le savoir va-t-il le guérir?  Je vois deux réponses possibles. Selon la première le savoir comble le désir : savoir absolu, identification du sujet au savoir, certitude subjective et objective. Selon la seconde le sujet va aussi loin qu'il est possible dans la connaissance, et, brusquement, se voit contraint, face à l'énigme, de reconnaître l'impossible : "désêtre" dira Lacan, destitution subjective, béance irrémédiable de la vérité. Savoir et vérité se disjoignent dans l'évidence d'une rupture définitive. D'où deux "philosophies" irréconciliables, l'une qui prétend dispenser un savoir qui réconcilie, un sens où s'abrite et s'apaise la douleur et se satisfait le désir, l'autre qui ouvre la brêche, pose le réel comme limite infrangible,  transmutant et éternisant le désir. La première est métaphysique et se range dans l'orbe de la religion, la seconde est critique, tournant le dos à toute entreprise de falsification idéologique.

On dira : prendre la voie de la seconde c'est doublement échouer, et courir à la catastrophe : le désir de savoir, qui initiait la démarche, non seulement est frustré, mais encore condamné à errer indéfiniment, et d'autant plus qu'il n' y a plus aucun point fixe, aucune certitude, aucune valeur éternelle. Je réponds que nul n'est tenu de faire le voyage, ni de le mener à son terme. Mais quel est le terme? C'est de comprendre que le savoir, s'il est légitime et nécessaire, et suffisamment approfondi, mêne à la limite où se destitue son prestige. Je croyais que de savoir mon désir serait définitivement satisfait, qu'avec sa satisfaction s'éteindrait ma douleur, que j'accèderais à une plus haute perfection, et voici que mon désir se déplace encore, que ma douleur, pour être moins forte, moins insistante, ne disparaît pas davantage,  mais que la vie continue, que l'incertitude me semble moins accablante, et que mon désir enfin s'ouvre de nouvelles avenues, moins angoissées, plus folâtres et plus poétiques. Je n'ai que faire du sens, du vrai et du faux, de l'espoir et du désespoir, sachant que tout savoir est relatif et périssable, toute valeur conventionnelle, toute société mortelle, et toute vie aussi, et qu'en somme je suis et ne suis pas dans le tourbillon qui va, que notre seul possible est de témoigner de nos instants vivants par l'intensité de nos émois, et le feu dansant de nos poêmes.

 

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Commentaires
A
Merveilleux programme cher Guy!<br /> <br /> Donc Freud et Lacan en bas des étagères, et qu'advienne un monde tendre empli de poésie et d'insouciance.<br /> <br /> J'ai toujours pensé que la bonne humeur était capable d'aller à l'encontre du temps lui-même. Que peuvent les tracas contre les éclats de rire? Lorsque nous rions, c'est une toute éternité de bonne humeur qui nous requinque.<br /> <br /> Joyeuses fêtes!
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