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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 décembre 2013

Du BEAU et du REEL

 

 

                 "Je suis belle, et j'ordonne

                 Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le beau". (Baudelaire)

Seul le beau est aimable, lui que nous inspire la beauté de la Muse, magnifiée par l'amour. A dire vrai on ne sait trop si c'est l'amour qui inspire la beauté ou la beauté qui inspire l'amour. J'imagine fort difficilement que l'on aime la laideur, en tout cas, moi, j'en suis incapable. J'aime ce qui exalte les formes, leur conférant une luminosité souveraine, un éclat de jeunesse et de fraîcheur qui font aimer la vie. Cette vive disposition esthétique, j'entends la capacité de sentir et de ressentir le surgissement de la forme juste et belle, est un merveilleux antidote à la raison raisonnante qui en toute chose voit l'implacable déroulement du devenir et du vieillir, anticipant sans pitié en toute chose la fin imminente. La fugitivité universelle entretient en nos coeurs une secrète et invincible mélancolie, une morne complaisance à la tristesse des crépuscules et aux langueurs monotones de l'automne, que vient combattre avec éclat la promesse enchanteresse de la beauté. Sublime illusion, illusion vraie cependant, car si la beauté est éphémère, comme la vie elle-même, elle n'en est pas moins belle, et plus belle encore d'être si précaire, menacée dans son être même, merveilleusement fragile, et d'autant plus précieuse. Ne vaut que ce qui peut périr, aussi l'existence de l'homme l'emporte-t-elle en valeur sur celle des Immortels, qui ne risquent rien. Les dieux sont le rêve incarné d'un désir impossible qui reconcilierait la beauté et l'immortalité.

L'invocation à la Muse qui ouvre tant de poèmes anciens est bien plus qu'une supercherie littéraire ou un passage conventionnel, c'est une profonde vérité : il faut, pour poétiser, une forte impulsion intérieure, dont l'image externe de la Muse, sa divinité en somme, est la garante, exprimant le mystère de la source inépuisable d'où procède toute création. Car en sa propre nature imparfaite et mortelle le poète ne voit rien qui puisse le hisser à la dimension de la beauté. Qui suis-je, moi qui meurs à chaque instant de ma vie, pour chanter le héros ("arma virumque cano") dont le nom traversera les siècles, pour chanter l'"Ange gardien, la muse et la Madone" dont la beauté céleste inspire mon amour? Et c'est encore un personnage divin qui appelle Parménide sur le chemin de vérité, dont le texte donne les étapes nécessaires : 

      "Les juments qui me portent ausssi loin que va mon désir

      Me conduisaient, depuis qu'elles m'avaient mis sur le chemin de riche langage

      De la Déesse, celui qui porte l'homme du savoir dans toute ville".

Ces "juments" qui tirent le char du poète ce sont les mots de la langue, mots appris à l'écoute d'autrui, et qui, à présent, deviennent ses propres mots, l'entraînant dans la course initiée par la Déesse. A chaque poème qui se fait se produit une mutation singulière, les mots des autres deviennent miens, s'incarnent dans une chair nouvelle qui se construit à mesure. Le poète se change en lui-même, "tel qu'en lui-même enfin le poème le change". Cette transmutation alchimique requiert bien évidemment un agent "surnaturel", le daïmon, la Déesse ou la Muse.

La beauté est une promesse. De bonheur, disait Stendhal. Peut-être. Mais d'un bonheur étrangement paradoxal. Car ce qu'elle laisse espérer ne se produit jamais. Elle fait miroiter l'image d'une durée infinie, d'un monde harmonieux ("Là, tout n'est qu'ordre et beauté/ Luxe, calme et volupté") - je songe invinciblement aux sublimes tableaux tahitiens de Gaughin - elle fait rêver la perpétuation infinie d'une douce et suave jouissance, mais ne nous protège en rien de la maladie et de la mort. Le poète voyant gangrené par la syphilis ou le sida. Le réel, en un mot, a toujours le dernier mot.

J'ai pris la beauté sur mes genoux, mais elle s'est détournée de moi... La Muse m'abandonne, à quoi? au sort commun, à la banalité du sort et de la mort. Alors? Que donc vaut la beauté?

"Sa promesse est un leurre et sa faveur une onde" (Malherbe). Oui, le réel a toujours le dernier mot. Mais la beauté n'en disparaît pas pour autant. Elle est comme ces rêves sublimes qui parfois enchantent nos nuits et nous laissent pantelants sur le rivage du jour. En avons-nous moins goûté les délices du songe? Le tout est de ne pas rêver nos jours, de bien séparer le jour de la nuit, de rêver la nuit et de veiller le jour. Le fou c'est celui qui confond, le poète ne confond pas. Il témoigne à sa façon de la légitimité des songes, de leur insistante noblesse, de  leur vérité paradoxale. Il sait voyager d'un monde à l'autre, et de l'autre à l'un. Il est disciple d'Héraclite, car s'il oppose clairement les mondes, appréciant chacun à sa juste mesure, les distinguant avec rigueur, il sait de science sûre que, d'un point de vue plus vaste et englobant, les deux n'en forment qu'un, éternellement le même, et l'unique : "le dieu est jour-nuit, hiver-été, guerre-paix, satiété-faim". S'il est une vraie beauté, qui ne déçoit ni n'afflige, ce n'est pas la beauté relative du périssable, mais la subtile et inapparente harmonie du dieu-monde qui unit toutes choses contraires dans la vision intellective du Tout.

 

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