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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 novembre 2013

Le POETE et la LANGUE

 

 

 

Quand menace l'effondrement symbolique, que la pensée chavire, incapable de se resaisir elle-même, que les mots échappent, comme pris de folie, entraînés dans une sorte de vertige blanc, alors reste la poésie, ultime frein à la déroute générale du sens, ultime recours. Cela je l'ai expérimenté bien des fois, à l'orée du silence, pressentant que le silence serait pire encore, qu'il faut tenir, convoquer la langue, s'accrocher à la moindre bribe, au moindre fétu, pour éviter la décomposition.

C'est ainsi que Rilke, dans le plus noir des désespoirs, accumulait des colones de mots sans suite, sans ordre ni raison, dans l'espoir que de ce griboullage insensé émerge, par un heureux hasard, quelque combinaison favorable, quelque raison d'espérer. Il fit bien, car un peu plus tard il écrivait les Elégies.

Le poète est celui qui prend le langage au sérieux. A vrai dire, plus que tout autre, il y séjourne par toutes les fibres de son corps, épouvant dans sa chair la morsure des mots, leur douceur aussi, leur exigence secrète, comme s'ils attendaient que le poète les délivre de leur gangue de fadeur, leur ouvre la cage, leur rende l'envol, le feu et la lumière. Tout ce qui affadit, pèse, écrase le mot, et tout ce qui l'allège, le tonifie, en exaspère la puissance, tout cela le concerne au premier chef, le poète, qui respire, sent, expérimente le destin des mots, en mesure la fragilité, et la nécessité.

J'ai longtemps cherché où était ma demeure, sentant bien que nulle contrée, nulle ville ou villégiature ne m'était intimement adaptée, que nulle nécessité ne me fixait ici plutôt qu'ailleurs, comprenant pour finir que cette quête était vaine, sans objet. En exil sur la terre, sans nostalgie aucune de terroir, de montagne ou de vallée, je me veux apatride, sans feu ni lieu, pleinement homme en tout lieu. Car de partout les hommes parlent, et pleurent, et crient, et rient, de partout ils se constituent comme poètes de leur vie. C'est cela la véritable patrie.

Celui qui a quitté la ville natale, à jamais en exil sur la terre, sans nostalgie il marche par le monde, dégagé des pesanteurs de la tradition, ouvert et libre. Dans la langue il se fait sa demeure, porte et fenêtre ouverte sur le vaste monde. "Cosmopolitès". C'est de cela que j'entends témoigner.

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Commentaires
A
Oui cher Guy, quelle plus belle demeure que les mots?<br /> <br /> Eux aussi sont cosmopolites, sans frontière, exceptées celles de la beauté et de la vérité.<br /> <br /> Et je retrouve indéfiniment cette idée du logos de nos auteurs anciens: pour moi le langage c'est aussi cette demeure dans laquelle séjourne l'être.<br /> <br /> Belle et douce journée!
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