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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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23 novembre 2013

De la CIBLE INTERIEURE (2)

 

 

La cible intérieure...C'est bien entendu tout à fait autre chose que le moi, ce compendium d'images, d'identifications, de conventions, de rôles intériorisés, de projets et de déceptions, théâtre d'ombres et de lumières, grandiose et dérisoire toile d'araignée où s'accroche et se perd notre désir. Descendant d'un cran, je dirai que chacun est à la recherche, consciente ou non, de son vrai désir - si tant est qu'on puisse parler d'un désir vrai, et le nommer - mais enfin nous en avons une aperception vague, une intuition, souvent confuse, mais qui peut se préciser, nous mettant alors en route vers notre singularité de sujet. Le sujet serait ce projet de pouvoir dire : "voilà ce qui me motive, m'exalte, me pousse à exister, à affirmer ma singularité, dans la vie, et face à la mort". C'est par exemple ce remarquable travail de Rilke, qui, dans les Elégies de Duino et les Sonnets à Orphée, commence par demander : "Qui, si je criais, m'entendrait parmi les cohortes des Anges?", et termine par ces vers :

     "Si le terrestre t'as oublié

     A la terre en repos dis : je coule

     A l'eau rapide, dis, je suis."

Cet "être" ainsi atteint, certes ce n'est pas l'être de Dieu, ni celui de la pleine nature, ce n'est pas une substance impérissable, un principe d'immortalité, c'est l'être fragile et risqué d'un homme conscient de soi et de sa mortalité, en quoi il est homme, justement, un mortel,  comme disaient les Grecs. Mais cette magnifique et vaine assurance est tout ce qu'homme puisse atteindre dans le monde, fondant sa demeure précaire non sur un sol particulier, une patrie, une nation, une contrée choisie, mais dans cet invisible demeure du langage, demeure apatride et universelle, la vraie patrie de l'humanité.

       "A l'eau rapide, dis : je suis". Mais "à la terre en repos, dis : je coule"

Notre patrie est entre l'écoulement infini, irrépressible, et la fermeté du durable, qui ne l'est que par métaphore, si la terre est pour chaque homme le berceau et la tombe.

La première cible c'est l'existence du sujet comme sujet. C'est déjà beaucoup, et c'est difficile, et c'est ce qui fait le prix de l'existence mortelle. 

Mais le poète, et le philosophe vont plus loin encore, comprenant l'essence de la fugitivité, et que l'homme lui-même, en privé et en public, est la sublime moisissure de la vie universelle, entre naissance et mort, passage d'un nuage, orage vite fatigué, emporté dans le mouvement cosmique.

   "Qu'est ce que l'homme dans l'univers? Une vapeur, une goutte d'eau".

L'existence, si précieuse, si précaire et si rare, nous sentons bien que nous devons la rapporter à quelque chose de plus grand que nous, qui nous précède et nous suit, qui n' a ni début ni fin, qui nous excède de partout, et qui fonde tout ce qui naît et qui meurt. Dans Homère revient souvent la formulation : " tout ce qui était, qui est et qui sera" - mise en regard de tout ce qui passe sans laisser de trace, feuilles, écume, et la gloire même, et le héros qui meurt. Cette puissance là on ne peut la connaître ni la dominer, on peut l'admirer ou la craindre, ou la chanter. "Tu es Cela" dit-on dans les Upanishads, le principe qui commande le Tout est en toi également, tu l'es aussi en quelque manière, sur le mode mineur, selon un rapport incommensurable, mais tu ne serais pas sans lui. Les Hindous pensaient qu'il était possible de prendre conscience de cette identité ultime du Brahman et de l'Atman, du Tout et du particulier, et que dans cette conscience était la délivrance, la fin de la souffrance liée à l'individuation. Si je suis Tout je ne souffre plus de rien. Le Bouddhisme préfère traiter de cela en négatif : si je dissous les illusions du moi je puis me fondre dans la vacuité universelle, libre de toute attache et de toute identification individualuisante. Toujours est mis en cause ce principe d'individuation qui nous sépare, nous isole, et nous plonge dans la souffrance d'exister.

Pour ma part je conçois les choses un peu différémment : je ne pense pas possible, sauf dans le mythe, à dépasser l'individualité, et à vrai dire peu souhaitable. Je ne crois pas à une identification ultime du Je et du Tout. C'est la voie mystique, ce n'est pas la mienne. Mais il est vrai, indiscutable, irréfutable, que nous ne sommes que par la participation, affirmée ou niée, à ce Tout qui est Tout. C'est à cela que nous devons nous rapporter quand les dieux sont morts, et que sonne l'heure du plus grand péril. Rien de mystique là dedans, mais du bon sens, de la saine raison. C'est en cela que nous pouvons réactualiser, réinterpréter les traditions anciennes, et les ranger à l'aune de la vérité.

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