Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 154
22 octobre 2013

IMAGES de la PHILOSOPHIE

 

 

Lorsque s'achève le processus de déconstruction de la philosophie, qu'en reste-t-il? Une méthode d'investigation, une pratique tenace du soupçon, une liberté, une exigence. Est-ce bien tout, même si c'est déjà beaucoup?

C'est oublier une dimension très ancienne, omniprésente chez les bienheureux pères fondateurs, occultée, voire déniée depuis - la dimension poétique. C'est oublier que Héraclite, Empédocle, Parménide sont autant poètes que philosophes, inventeurs de belles images, artistes du verbe, créateurs de formes autant que de pensée. Que dans leur poème respire encore le souffle de l'origine, le pathos frémissant des premières intuitions, qui se déploient dans la magnificence de la langue, toujours inventive, complexe, suggestive, expressive. A croire que le grec est l'indépassable véhicule de la vérité.

           "Les juments qui me portent aussi loin que va mon désir

          Me conduisaient, depuis qu'elles m'avaient mis sur le chemin de riche langage

          De la Déesse, celui qui porte l'homme du savoir dans toute ville" (Parménide, prologue)

Suit le tableau majestueux d'une entrée royale par les grandes Portes d'une cité sainte, où le poète sera initié par les filles du Soleil :

          Les filles du Soleil laissaient derrière elles les maisons de la Nuit

          Pour la Lumière, et de leurs mains repoussaient les voiles loin de leurs têtes. (v 9 et 10).

Symbole archétypal : il faut à l'homme un chemin, une porte, double porte, un vestibule, et que des puissances célestes le conduisent " à la béance vacante", qui est peut-être la seule expression possible - aux hommes - de la Vérité : abîme indicible, qui ne se révèle qu'à celui qui a déjà fait le voeu de la lumière, second moment de l'initiation. Car il faut avoir déjà purifié son coeur (principe de sélection) pour espérer en découvrir davantage. Toujours l'enseignement doit être protégé du vulgaire. Rares sont ceux qui pourront soutenir la vue aveuglante de la béance, déchirure et ouverture (chasma, chaos) vacuité et plénitude sans forme.

Je ne me lasse pas de ces grandes images nourricières de la haute tradition, Empédocle sur l'Etna, la chute vertigineuse dans le cratère - et que signifie donc ce cratère si ce n'est la fusion de la terre, de l'eau, de l'air et du feu, retour à l'élémentaire, réunion de l'être individué, séparé, à la physis éternelle, absorbtion de l'individu dans le flux universel? La mort d'Empédocle est le puissant symbole de la réunification, dissolution, et libération définitive. Seule une de ses deux sandales de bronze sera recrachée par le volcan, signe oblitératif "qu'un homme est passé par là" - comme on dit de Bouddha : Thâtagata, celui qui est ainsi venu - et qui ainsi est parti.

C'est qu'à ce niveau d'excellence les Grands de ce monde, Bouddha, Empédocle, Héraclite confondent leur histoire et leur personne, ils sont devenus de purs symboles, où nous pouvons puiser la substance de notre propre quête. 

Et puis des images familières, faussement prosaïques : Héraclite, que des curieux viennent visiter, surpris dans son logis, préparant quelque potage, qui déclare : "Ici aussi vivent les dieux". Et le même Héraclite, lassé du monde et de l'incurie universelle, se retirant dans le temple d'Artémis, et jouant aux osselets avec des enfants. N' a-t-il pas écrit naguère que "le Temps (Aïon) est un enfant qui joue aux osselets, royauté d'un enfant"? Et Démocrite, tenu pour fou par ses congénères par ce qu'il riait de tout et de tous, sans distinction, du rire inextinguible des dieux, dieu lui-même, à sa manière, dieu des bocages et des clairières, disséquant quelque bête des bois pour y lire les lois de nature, microcosme et macrocosme, les mêmes lois. Hippocrate, mandé par les Abédéritains, inquiets de la sante mentale de leur sage, pour établir un diagnostic, conclura que les seuls fous, en l'occurrence, sont les habitants d'Abdère!

Parmi les Modernes je trouve plus difficilement de telles somptueuses images, mis à part " le pôêle allemand" de Descartes, cette retraite méditative où l'auteur du Discours de la Méthode découvrit le cogito - à moins de dire qu'il ne l'inventa?  Mais il manque à cet apologue la dimension publique, oraculaire qui fait le charme des récits antiques, dont l'écho affaibli résonne encore en sourdine dans les Essais de Montaigne. Mais tout cela est un peu trop privé, trop subjectif, cela sent un peu le rance, reliquat du cloître médiéval et des confessions chrétiennes. Décidément, je vote pour les Anciens, les rives de la Méditerrannée, le grand souffle épique gonflant les voiles de la pensée, la poésie de Sappho et les verts jardins où marchait Epicure entouré de ses amis philosophes.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Merci pour ce beau voyage et paysage philosophique que je découvre avec vous!<br /> <br /> je me régale.Il y a de la joie, de la vie, de la poésie, merci.
Répondre
D
Merci pour ce texte qui résonne de ce chant si particulier de l'originaire. Il faut dire que depuis le christianisme, le sujet qui est apparu s'est clivé en se coupant de la source primitive, en inscrivant le vérité dans le Verbe, dans la parole et non dans l'abîme antérieure à tout discours et à toute loi. <br /> <br /> Descartes est dans le repli solipsiste, Pascal dans l'effroi et Montaigne dans sa tour. Que manque-t-il sinon le souffle incommunicable et fécond de la grande nature, de la Phusis qui emporte l'homme et les Dieux dans le sillage tourbillonnaire du hasard ?
Répondre
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité