Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 437
3 octobre 2013

De la JOIE FONDAMENTALE : méditation

 

 

Depuis plusieurs jours je tourne autour de la phrase de Nietzsche : "La joie est plus profonde que la douleur". Cette idée me semble extraordinaire, mais si difficile que j'en use comme d'un "pharmakon", terme grec remarquable qui se traduit tantôt par "remède", tantôt par "poison", étant à vrai dire aussi bien l'un que l'autre. Pour la joie il en va de même : je me méfie à l'extrême des propositions optimistes, dans lesquelles je vois à l'ordinaire chimères et infantilisme. Une vraie joie, sans fausseté, sans niaiserie, sans aveuglement volontaire est-elle possible? Et en quoi est-elle "plus profonde" que la douleur, elle si évidente à l'esprit lucide qui entend ne pas s'en faire accroire? Je repense immédiatement à l'enseignement de Bouddha, qui élabore merveilleusement cette double problématique : la vie est souffrance, parce que nous sommes aliénés par la soif, la haine et la méconnaissance. Vérité Noble de la souffrance, qu'il faut prendre le temps de sonder jusqu'au plus profond, et qui sape impitoyablement nos illusions les plus chères. Mais Bouddha enseigne également autre chose, la Bonne Nouvelle, à savoir que la joie est plus profonde que la douleur, et comme Nietzsche, il aperçoit un socle ultime où se défait la douleur. Mais on pourrait fort mal comprendre. La douleur ne disparaît pas, nous sommes et nous serons toujours aux prises avec une réalité difficile, nous connaîtrons toujours la fin et la soif, et la peur, et la maladie, et puis nous mourrons comme meurent les feuilles. Mais c'est la qualité de notre présence au monde qui change.

C'est une affaire de "profondeur". Quelle profondeur? Je mets de côté, immédiatement, la spéculation intellectuelle qui pourrait me satisfaire à bon compte. Je veux du concret. Quand donc, explorant ma perception, attentif aux sensations dans mon corps et dans mon esprit, puis-je avoir un pressentiment de cette joie inconditionnelle - car si elle n'est pas inconditionnelle elle ne vaut rien et ne saurait se présenter comme vraie. Je remarque d'abord que, de nature, je ne suis pas spécialement gai, peu porté aux divertissements faciles, plutôt songeard et mélancolique, mais sans excès, car je sais rire à gorge déployée, selon l'occasion, et boire, et m'amuser et folâtrer comme un autre. Mais je suis un peu  trop porté à la gravité, voire à la morosité devant le spectacle du monde, qui, à mes yeux, ne prête guère à rire. Bref, la douleur je connais, et même un peu trop. Disons que je ne suis pas ce qu'on appelle un joyeux drille, et pour le coup, cette aperception de la joie fondamentale ne m'est nullement facile, nullement évidente. Ajoutons même : si cette vérité - si c'en est une - me devient accessible, elle a de bonnes chances de le devenir pour beaucoup. Paradoxalement je suis un excellent sujet d'expérimentation.

Tant que l'on oppose plaisir et déplaisir, joie et douleur, on ne peut percevoir la joie fondamentale, on est toujours et encore dans le "polemos", l'alternance, qui, en son essence ultime, se ramène à la souffrance puisqu'elle véhicule sans fin l'insatisfaction, l'espoir et la crainte : samsârâ. La joie qu'on y éprouve à l'occasion est conditionnelle, factuelle, ce n'est pas la joie véritable. Les philosophes qui ont médité sur le Souverain Bien  le ramènent tantôt au bonheur, au plaisir, ou à la vertu, ou à l'Idée du Bien, ce qui est mal dire, parce que ce bien ne se possède pas, ne se gagne ni par l'intellect ni par la moralité. Plus justement Pyrrhon disait : dépossession, déprise, non-attachement. C'est plutôt une ouverture par immersion.

Parfois, voyant le grand ciel lumineux, je me sens comme absorbé par l'immensité, et j'ai ce désir étrange de me dissoudre sans reste dans la lumière. D'autres fois, en méditation, je me laisse couler comme une pierre au fond de la rivière, et quand cessent les peurs et les pensées, par instant, c'est un grand calme, une suspension dans l'indéterminé. 

Que la sensation soit douce, ou pénible, que domine l'angoisse ou la jubilation, de toute manière il y a ceci que quelque chose est déjà là : le plaisir exprime, manifeste, atteste ce quelque chose qui est déjà là, et la douleur tout autant. Une présence permanente, incompréhensible, irréfutable. Leibnitz demandait : "pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?"  Question étrange si la question contient la réponse, si questionner c'est affirmer en dépit de soi la présence préalable. Il y a, est-il possible d'en dire plus? Les Chinois classsiques diront : le Tao ne se nomme ni ne se pense, il se vit. Les Bouddistes diront : la vacuité contient toutes les formes.

Il y a, voilà le fait. Et ce fait peut faire l'objet d'une détestation, ou d'une affirmation. Méphistophélès, dans le Faust de Goethe, dit : "je suis l'esprit qui toujours nie". Bouddha, plus noblement, nous invite à découvrir en nous le continuum somatopsychique, et de le transformer en continuum de conscience éveillée. C'est en ce sens, je crois, qu'il faut entendre la présence en nous de la joie fondamentale.

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Je ne sais pas d'où vient cette joie fine qui se tient au-dessous de tout... une joie qui est apparue un jour, était-elle déjà là avant et je ne l'avais point vue? ou est-ce à force de pratiques méditatives ou autres recherches qu'elle est apparue? Je ne sais. Mais je la sens, en-dessous de la pire douleur, les deux se vivant conjointement, l'une soutenant l'autre et la faisant de ce fait moins douloureuse... voilà ce que je vis... merci pour ces écrits...Pascale
Répondre
J
Monsieur Karl,<br /> <br /> <br /> <br /> Dans les Sept Nains de Blanche, figurent tous les traits de caractère sur lesquels nous travaillons en ce moment ! Prof, Joyeux, Grincheux... Il y en a encore quelques-uns ! J'attends Simplet avec impatience !
Répondre
S
Les hindous disent que la Joie est le Soi; c'est Ananda....<br /> <br /> Il me semble que c'est la vraie joie, le reste est émotion à un moment donné ; c'est beau mais fugitif.Je me souviens avoir connecté cette joie en rentrant d'Assise où j'avais côtoyé un Maître hindou....je ne comprenais pas ses paroles, j'étais seulement dans la Présence......j'espère retrouver et garder cette Joie jusqu'à l'ultime expire.
Répondre
A
Cher Guy, voici encore un bien bel article.<br /> <br /> Pour ce qui concerne la souffrance je rejoins l'idée de Jean-Claude. <br /> <br /> Le divin sous beaucoup de ses formes consiste dans un remède bien trop "attentiste" pour que j'y adhère: promesse d'un bonheur certes, mais toujours reporté, différé. Sans parler des ravages terrestres que furent les guerres de religion ou l'inquisition. Et puis j'ai en mémoire la vidéo de M. Conche dans laquelle il se souvient que lorsqu'il allait à confesse, c'était toujours pour s'entendre dire: "coupable!" Contrition, souffrance, culpabilité sont au programme ici-bas.<br /> <br /> Et quant aux mystères je n'en aime que la poésie, magnifique.<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a eu tant et tant de théories de la joie et du bonheur! Je vois dans l'accumulation même de ces théories, cette quête de l'Absolu qui ressemble à notre propre insatisfaction.<br /> <br /> Ce que la religion ne promet pas, remplaçons-le donc par des théories qui nous promettront à nouveau un bonheur total, global, inconditionnel.<br /> <br /> Voici encore à mon sens une chimère, une illusion qui ressemble par beaucoup de traits à l'illusion religieuse (que je distingue de la foi, qui est une affaire privée quant à elle).<br /> <br /> Le bonheur, et la joie qui l'accompagne me semble beaucoup plus relatifs et instinctifs que toutes les théories que l'on formule à leurs sujets.Il consiste aussi paradoxalement dans quelques renoncements.<br /> <br /> C'est parfois simplement contempler la globalité du monde dans sa folie, et choisir de le regarder sous un tout petit angle, là où il est simplement plus joli.<br /> <br /> C'est parfois revenir à la spontanéité des enfants, qui savent lâcher prise, même s'ils ne sont pas toujours tendres entre eux.<br /> <br /> C'est contre toute attente, essayer d'être à peu près cohérent avec quelques idées, et contre toutes les croyances trop grandes pour que nous puissions les porter sans fardeau, s'assoir et se donner le droit d'être heureux, simplement.<br /> <br /> La joie ne se prouve pas, elle s'éprouve.<br /> <br /> <br /> <br /> Les philosophes grincheux sont des philosophes joyeux, je l'ai toujours su.<br /> <br /> Il n'y a pas que les philosophes qui soient malicieux :-)<br /> <br /> Bonne journée.
Répondre
J
Évidemment, la joie est d’abord plus difficile à atteindre qu'on peut l'imaginer. Montaigne a dit : "Tu ne vas pas mourir de ce que tu es malade, tu vas mourir de ce que tu es vivant. ". Donc, être vivant, c'est vivre précisément dans et avec, la joie de vivre.<br /> <br /> <br /> <br /> Laissons aux déprimés perpétuels, la possibilité de souffrir, de geindre au moindre bobo de l'âme ou du corps. Sachant que les conseils que nous pouvons leur donner seront vains.<br /> <br /> Selon Bouddha, je me méfie du côté mystique de la souffrance. Car, il faudrait vivre dans la souffrance, pour plaire au Divin de toute religion. Nous nous rappelons de ces paroles du Christianisme : "Je ne vous promets de vous rendre heureux en ce monde, mais dans l'autre"...<br /> <br /> Donc, souffrons et nous serons heureux dans la mort ! C'est Épicure qui rigolerait bien d'une telle vision de la joie dans notre existence ! Jules Ferry ou Michel Onfray seraient également sûrement d'accord avec ce constat ! Rigolons en attendant la mort, c'est indispensable de philosopher pour apprendre à mourir. Merci Montaigne pour ce conseil plein d'optimisme et non d'odeur d'encens !<br /> <br /> <br /> <br /> Leibnitz, n'a pas écrit cette phrase pour que nous levions le nez en l'air ! Mais de regarder au plus profond de nous-mêmes, afin de trouver que toute joie intérieure est bien là, à la condition de savoir l'utiliser autant que possible.<br /> <br /> Souffrons dans notre être, en sachant vivre de joie à notre propre regard et, mettre les antidépresseurs à la poubelle !<br /> <br /> <br /> <br /> Au téléphone, les personnes qui me connaissent bien, me répondent : "Comme ça fait plaisir de parler avec toi"... Quant aux grincheux permanents, c'est tout juste si je ne les dérange pas dans leur morosité.<br /> <br /> <br /> <br /> Y'a de la joie, bonjour, bonjour les hirondelles... Merci Charles Trenet d'avoir su nous rendre joyeux simplement en chantant la joie !<br /> <br /> <br /> <br /> Que j'ai été heureux d'écrire ce commentaire, tellement rempli de banalisation du bonheur de vivre joyeux, même dans la solitude !
Répondre
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité