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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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18 septembre 2013

De la FOLIE du SENS

 

 

 

Il faut procéder par soustraction : apurer, éliminer. Quoi? Ce surplus encombrant d'opinions, de théories, de constructions mentales. Ce gigantesque mausolée d'idées mortes, qui paraissent vives et vivantes, et qui ne survivent que de notre faiblesse, de notre indigence. Toute thérapie sérieuse doit mener, par delà les temps inévitables de l'interprétation et du sens, à ce dépouillement essentiel où le sujet reconnaît enfin le leurre de toutes les interprétations, fussent-elles originales et fécondes. Faire l'épreuve du réel c'est découvrir les limites infrangibles du langage, l'impossible structural, l'inaccessibilté, le non-savoir indépassable. En psychanalyse par exemple, dans les premiers temps, le sujet est comme envoûté par ses découvertes, fasciné par la puissance interprétative du langage, et, emporté par une sorte de frénésie du sens, il en vient à croire que toute son histoire, et l'énigme de son désir, lui deviendront rapidement accessibles : si "tout est langage" il suffit de parler longuement et assidûment pourque se révèle la vérité intégrale, que tout devienne absolument clair, transparent, intelligible. C'est l'illusion fondatrice de la cure, que renforce encore la conviction que l'autre - l'analyste - sait, et que tout le travail, en somme, est d'atteindre à cette exquise excellence du Savoir. Si l'on s'arrête là on aura peut-être soulagé la souffrance du patient, mais on aura du même coup remplacé une structure névrotique par une autre (névrose de transfert). Ce n'est pas un sortie acceptable. Aussi, en toute rigueur, faut-il déconstruire ce mythe protecteur mais aliénant, et mener le patient à l'épreuve redoutable du dépouillement, où, dans l'angoisse, le sujet se trouve renvoyé à sa condition essentielle : le langage ne dit pas tout, il ne peut rendre compte du réel corporel, de notre incarnation indépassable avec nos besoins, nos pulsions, notre mortalité, notre sexuation, notre être-pour-la mort. On se prenait pour un dieu omniscient et omnipotent, et nous voilà ramenés à la petite misère de notre corporéité, avec son lot de douleurs inguérissables, à la vanité de notre misérable petit moi pétri de langueur et de contradictions, à l'inanité de tous nos attachements, au vide sidéral de nos passions et de nos croyances. Bref le réel c'est la déception, ou pour parler comme Lacan : le désêtre. Moment difficile, qui requiert le courage, et la lucidité tragique. Ici psychanalyse et bouddhisme disent la même chose : démythification, ruine du sens, vacuité.

L'empereur demande à Boddhiddharma : "Qu'est ce que le bouddhisme?" Réponse : " tout est vide, rien n'est sacré". 

On ira difficilement plus loin dans la suppression du sens.

Cette idée paraîtra affolante : le sens, on veut du sens! Du sens pour vivre et du sens pour mourir. Du sens, du sens pour la guerre, le travail, la famille, la sexualité, et pour tout le reste. Les hommes supportent tout, souffrent tout, acceptent tout, et le pire, si l'on leur fournit du sens. C'est bien là le terrible, pour le sens on tyrannise, on torture, on colonise, on évangélise, on inquisitionnise, on martyrise. Et pour le sens on édifie des pyramides, des temples, des églises, des tribunaux, des prisons, des écoles, toujours le sens, la religion du sens. Mais alors quelle est la fonction du sens? C'est la fonction d'un symptôme et d'un fantasme : recouvrir la brèche, colmater le trou du réel.

Les hommes d'autrefois, ne pouvant guérir certaines maladies, ont inventé le péché. Si nous souffrons c'est de notre faute : "dura lex, sed lex". C'est dur à supporter, mais c'est supportable. L'absurde est écarté. Au moins quelqu'un, un dieu, jouira-t-il de nos malheurs, comme font les dieux d'Homère au spectacle de la guerre de Troie.

Voyant un animal mourir personne d'entre nous ne se demande si sa vie, et sa mort, ont un sens. J'imagine un dialogue entre un maître et son disciple. L'homme demande : qu'est ce qu'un arbre? Le maître répond : c'est un arbre. Le réel est le réel, hors langage, hors attribution, hors projection, hors interprétation. D'où l'absolue tautologie : A égale A, encore le second A, et la copule, sont ils parfaitement superfétatoires.

On ne comprendra les divagations d'un Pyrrhon, sa tranquille négation de tout discours, y compris le sien propre, qu'à la lumière de cette ruine intégrale, et sans reste, de toute interprétation, de quelque nature qu'elle soit. Son unique souci fut de nous libérer de cette obsession du sens, qui est l'envers glorieux et fumeux du langage.

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