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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 août 2013

Petite MEDITATION sur le FLEUVE

 

 

 

Un petit tour par ci, un petit tour par là, je vaticine dans la cour des grands, anciens et modernes, mais avec une préférence marquée pour les anciens qui ont défriché merveilleusement les grandes avenues de la pensée. Je séjourne quelque temps auprès de l'un, je m'ébats avec ravissement dans ses bosquets fleuris, je hume ses roses, je m'ébouriffe au contact de ses épines, je m'intériorise dans ses pensées les plus chères et les plus difficiles, et puis je m'en vais, je m'en retourne vers mes propres fleurs, plus riche, plus exigeant, plus anxieux du vrai, plus décidé à la beauté, fût-elle plus difficile encore. C'est ainsi que je philosophe, infidèle à chacun, fidèle à moi seul, mais épris, à tout jamais, de ceux qui aiment et cultivent le vrai, qu'ils savent exposer selon le beau. Ils ne sont pas très nombreux, mes amis penseurs et poètes, mais que serais-je sans leur sublime exigence, leur impitoyable liberté?

Ils ne sont pas très nombreux, mais j' y reviens toujours, décrivant une sorte de cercle qui me ramène inlassablement aux mêmes points, aux mêmes "topoi" qui sont les noeuds vitaux d'une existence humaine exigeante et lucide. Loin du bonheur, c'est sûr, mais au plus près de la liberté intérieure. Car à ce jour je n'ai pas trouvé cet accord prodigieux qui faisait la force des anciens, de réunir du même mouvement le bonheur et la liberté. Je ne sais si un moderne, déformé par des siècles de monothéisme et de dualisme, peut encore prétendre à ce miraculeux équilibre qui semblait si naturel à Epicure ou à Pyrrhon, et, s'il faut choisir entre un bonheur purement physique et une liberté lucide, je choisis la liberté lucide. Une terrible faille s'est creusée dans l'âme moderne et elle n'est pas près de se refermer. La gageure serait de poser qu'au terme d'un long travail de parturience un sorte de bonheur, par surcroît, serait accordé à celui qui aurait longtemps pratiqué la lucidité dans la liberté. C'était le pari de Freud, mais il ne semble pas qu'il ait atteint cet ultime équilibre des facultés, ni que ses analysants y soient davantage parvenus.

Le prix de la connaissance est très élevé. Et l'on peut, à certains moments de découragement, estimer qu'il est vraiment trop élevé, que la sérénité (je dis sérénité par défiance à l'égard de la félicité), loin de s'approcher du connaissant, ne fait que s'éloigner à mesure, comme l'horizon inaccessible. Mais à l'inverse, nous pouvons, à chaque nouvelle connaissance, expérimenter un gain de puissance et de plaisir, qu'il ne faut pas gâcher par le ressentiment : nous ne comprenons pas tout, loin s'en faut, mais ce que nous comprenons devrait nous réjouir, comme le soleil d'un beau jour d'été. L'automne viendra, c'est sûr, et l'hiver, mais un autre printemps, peut-être, suivra-t-il les frimas de l'hiver. Qui va à l'est, va à l'ouest, qui va à l'hiver, va à l'été. Si nous renonçons à l'image de la totalité ("le beau Sphaïros à l'orbe pur") nous pourrons goûter sans réserve la splendeur de l'instant éphémère.

Il y a dans le taoïsme chinois une idée infiniment précieuse, qui devrait séduire le moderne : dans un monde sans début et sans fin, dans un monde qui ne se ferme et ne se totalise jamais, qui ne se ramène jamais à une quelconque unité finale, il est vain d'aspirer à un quelconque achévement - ce que nous entendons fallacieusement comme bonheur ou félicité - et la seule leçon sensée est de se couler dans les eaux du fleuve, de voyager selon l'esprit des saisons, au gré, satisfait un jour, mécontent le lendemain, et de considérer cette satisfaction et ce mécontentement comme des vagues à la surface de l'eau. Les vagues vont et viennent, le fleuve continue. Faisons de même.

 

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