Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 491
16 août 2013

De la MORALITE et des techniques de libération

 

 

 

L'Octuple Chemin exprime l'essence de la conduite, de la parole et de la pensée justes. C'est un code de moralité, mais bien plus encore, parce qu'il fonde la moralité sur la juste pensée. S'il faut s'abstenir de la violence, du vol, du mensonge, des relations sexuelles illicites et des addictions, ce n'est pas par simple conformisme social, par ritualisme ou prudence, mais parce que ces conduites enchaînent au malheur et perpétuent la servitude. C'est la juste conception de l'existence, fondée sur le savoir des racines de dukkha qui donnent leur sens philosophique à ces abstentions, librement et joyeusement consenties. Dans l'énoncé des huit embranchements c'est la pensée juste qui soutient tout l'édifice. Hors de quoi on n'aurait affaire qu'à une morale externe et conventionnelle. C'est malheureusement à cette étroite visée que se ramène trop souvent l'exposition de cette doctrine des Huit Embranchements.

Si l'on suit la logique correcte la juste pensée repose à son tour sur la pratique de la juste concentration et de la juste conscience, qui permettent la juste vision. C'est d'abord la compréhension profonde des Quatre Vérités Nobles (voir mon précédent article) par laquelle se fait la mise en route de la roue du Dharma. Elle s'approfondit dans la méditation pour devenir une orientation consciente de l'esprit : la vue juste.

La vue juste conditionne la parole juste : on évitera le mensonge, la duplicité, la manipulation, la séduction, la violence dans les propos, tout ce qui enchaine à l'erreur et à la haine, et qui redouble le malheur.

L'action juste s'inspire des mêmes préceptes : moyens d'existence justes, effort juste.

L'ensemble de ces préceptes forme un cercle de huit termes qui se rapportent les uns aux autres, se conditionnent et se complètent. Chacun implique les sept autres et se fortifie par eux. C'est le cercle vertueux de la pratique.

Je me poserai une redoutable question : la cercle de la pratique juste est-il un moyen de parvenir à la libération? Celui qui pratique dans cet esprit de justesse est-il assuré de parvenir à son but? On peut en douter. Peut-être faut-il inverser la proposition et risquer ceci : c'est d'avoir atteint un certain degré de liberté qui permet de pratiquer correctement. La moralité ne garantit aucun progrès, elle est plutôt l'expression naturelle de la liberté. Mais alors comment atteindre la liberté?

Une moralité sans liberté n'est qu'une caricature. Mais elle a au moins le mérite de socialiser l'individu, de lui apprendre l'effort et la retenue, la discipline du corps et de l'esprit, dans le meilleur des cas de le rendre disponible à un travail de la conscience. Ce n'est pas rien, et souvent on ne peut espérer mieux.

La vraie mutation est imprévisible, imprédictible. Il n' y a pas de recettes. On se souvient de ces patriarches chinois qui ironisaient sur les pauvres moines en méditation : "vous pourrez méditer assis pendant cinq mille kalpas (ères cosmiques), vous ne serez jamais que des grenouilles". Ils en appelaient à un sursaut immédiat, subit, irruptif de toute la personne, en chair et en os, qui réaliserait soudain qu'il n' y a rien à chercher et que tout est là! D'où ces vociférations, ces coups de bâton, ces propos abrupts censés provoquer une brusque mutation, l'Eveil ou l'Illumination.

Soit. Mais cette technique, pour être radicale, n'en est pas forcément plus efficace. Il faut se rendre à l'évidence : il n'existe aucune recette. Et à supposer même que vous ayez connu de ci de là quelque chose comme une illumination (et cela arrive) cela ne garantit nullement un changement dans la durée. Conclusion : il ne faut rechercher ni l'éveil ni l'illumination, qui sont peut-être des pièges encore plus subtils du narcissisme. Bouddha lui-même avait mis en garde contre les états mystiques, les extases et les ravissements qui induisent un attachement suspect et une autre forme d'aliénation.

J'en reviens toujours à la même conclusion : se mettre en route sans rien chercher de particulier, sans rien espérer, sans rien attendre. La moralité n'est pas un moyen, ni la méditation, ni l'illumination. S'il existe un éveil il n'a rien d'extraordinaire, c'est la vigilance de la conscience qui s'éduque à se déprendre des illusions, et dans cette déprise goûte l'arôme fade et subtil de la liberté.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Dans ces différents modes d'éducation morale dont vous parlez, je ne pressens rien de bien bon.<br /> <br /> Pas besoin de coups de bâtons donc pour ces patriarches chinois, leur mépris est pire encore.<br /> <br /> Pas besoin de parlementer sans fin non plus pour voir dans l'illumination une aliénation de type schizophrénique, bien que je suis d'accord avec vous, il reste celle, très rare, qui a quelque chose à voir avec le véritable génie.<br /> <br /> Je ne crois pas à une éducation morale, autrement dit, je ne crois pas que nous puissions nous éduquer en bâtissant une morale toute en arborescence, planifiée, structurée, totalement rationnelle, et finalement tellement rationnelle qu'elle devient totalement étrangère à la condition humaine. Ce "système" moral et moralisant le plus souvent ne risque-t-il pas d'apporter des résultats qui, reposant sur la peur de l'autre, se déguise simplement en morale de façon éphémère, tout juste assez de temps pour échapper à la tyrannie de celui qui se pose comme un "éducateur". Le tortionnaire n'est pas bien loin...<br /> <br /> Non Guy, rien n'a faire, je ne suis pas non plus une partisane de l'éducation soixante-huitarde qui a laissé bien des séquelles elle aussi, mais je dois bien avouer que je me positionne une fois de plus dans l'entre-deux: je ne crois qu'à une éducation sentimentale, c'est-à-dire qui repose à la fois sur quelque raison paradoxalement mais aussi et bien davantage encore sur des sentiments: patience, gout de l'effort, amour du prochain, tendresse, accompagnement, rigueur sans bâton ni carotte, encouragement, et joie voici les seuls "préceptes" moraux auxquels je crois, les seuls qui me semblent à la fois suffisamment joyeux et suffisamment bénéfiques pour nous accompagner tout au long de notre vie.<br /> <br /> Quitter le monastère, sans délirer avec le ciel.<br /> <br /> Sentir simplement que lorsque nous agissons correctement, en toute conscience, nous sommes cohérents avec nous-mêmes, et cela n'est déjà pas si mal. En tous les cas ce n'est pas triste, c'est déjà çà de gagné, même si je sais que cette fin n'est pas très philosophique :-)
Répondre
H
Votre synthèse m’émeus. Je vous remercie pour vos excellents articles que je suis avec attention. H.
Répondre
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité