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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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15 juillet 2013

De la DISSOLUTION du SUJET : Freud et Antiphon

 

 

 

Freud n' a pas thématisé la jouissance. Mais on peut estimer que la problématique est abordée indirectement. Alors qu'il pensait avoir dégagé, dans le principe  de plaisir-déplaisir, ce qui fonde l'organisation de la vie psychique, il découvre une nouvelle énigme : le sujet humain semble mettre une grande part de son énergie à travailler contre son propre intérêt, répétant des comportements inadéquats, voire catastrophiques, lesquels contredisent avec évidence au principe de plaisir. Quelque chose d'obscur, une force étrange et dangereuse pousse le sujet dans la voie du déraisonnable, du plus grand déplaisir, et du risque. "Au delà du principe de plaisir" Freud engage la réflexion dans la voie du "Todestrieb" : la pulsion de mort. Par de là quelques formes pathologiques remarquables, compulsion de répétition, névrose de destinée, agressivité et destructivité, Freud se demande si cette pulsion ne serait pas, dans le sujet, mais aussi dans les formations sociales, une tendance inconsciente au retour vers l'inorganique, une nostalgie de l'état confusionnel précédant la naissance, une aspiration au néant. Tel ce vers du Moïse de Vigny:

"Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre".

Mais, si cette tendance existe bien au coeur de l'homme, et je crois l'avoir amplement vérifiée en moi-même, on peut l'interpréter de deux manières bien différentes. Freud y repère la tendance régressive, dépressive. Il y voit une négation de la vie organisée, au sens propre une nost-algie, souffrance du retour, mouvement vers la dissolution, dont la mort serait l'ultime accomplissement, le secret désir. Mais s'agit-il bien de la mort, toute la question est là. Il peut s'agir en effet de la mort, mais alors comment concilier cette idée avec cette autre, selon laquelle l'inconscient ignore tout la mort (de la mort de soi) alors qu'il voue le prochain fort volontiers aux géhennes. La mort fantasmée c'est le meurtre du proche. Difficile de concilier ces deux approches. Peut-être le sujet ne veut-il pas vraiment mourir, mais simplement supprimer une tension interne insupportable (la douleur extrême, la haine retournée contre soi, la jalousie pathologique et autres). Le suicide serait une erreur sur la personne : je me tue en croyant supprimer l'auteur de ma souffrance. Si je ne désire pas vraiment ma propre mort comment expliquer dès lors le mouvement vers la dissolution que je puis, par ailleurs, découvrir comme une tendance latente au coeur de l'homme?

Plutôt que la destruction définitive et sans reste, le trépas, c'est un certain état d'apaisement, de flottement délicat et délicieux, sans tension ni souci, sans idée ni préoccupation, comme à se laisser flotter sans peur à la surface d'un lac, ou dans une sieste sans conscience, quand cesse l'obsession du désir, le culte de la volonté, le souci de plaire ou de séduire, quand se suspend le principe d'individuation, que le sujet se dissout dans l'élément informel de la nature. "Sentiment océanique" disait Romain Rolland. Que cet état en effraie plus d'un, crispé sur son individualité différentielle, inapte à la détente, anxieux de préserver à tout prix sa précieuse conscience de soi, voilà qui se vérifie tous les jours. Mais tel autre  y verra la plus douce volupté  : Montaigne, émergeant d'un évanouissement, décrit l'extrême douceur de cette expérience de désubjectivation, ou Rousseau renversé par un chien, entre vie et mort.

La dissolution du sujet, c'est selon, une figure terrifiante de la mort, une expérience délicieuse de la suspension, une découverte en tous les cas : quelque chose nous échappe, qui nous effraie et nous attire. De le traverser nous ouvre à une autre dimension de l'existence, dont la précarité essentielle se mesure à la fragilité de la vie.

Sous la Forme, antérieure à elle, plus vivante qu'elle, la vie indistincte et fusionnelle, l'énergie inépuisable, d'où naissent les Formes et à quoi elles retournent. Côté chinois, c'est la Femelle Obscure de Lao-Tseu. Côté grec, c'est l'Arrythmiston : 

"Si quelqu'un enterrait un lit et que la putréfaction ait la puissance de faire pousser un rejeton, il ne deviendrait pas lit mais bois : l'un existe par accident, c'est l'ordonnacement qui dépend de la loi et de la fabrication , tandis qu'est essence celle qui subsiste continuellement en subissant ces modelés". (Antiphon, cité par Aristote).

Peut être est-ce bien de cette vérité-là qu'il s'agit dans nos expériences de dissolution : redevenir bois vivant, ou plutôt retrouver la vie du bois, ou de l'eau, ou de la terre. En deçà de notre être apparent la jeunesse inapparente, éternelle du monde.

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Commentaires
R
L'homme se suicide dans un passage à l'acte, sous l'emprise d'une pulsion qui le dépasse, pour supprimer la douleur ou tuer celui qu'il n'est pas.
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G
J'aime cette idée d'un banquet philosophique. Un jour d'inspiration, peut-être, qui sait?
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A
Il est dit qu'aujourd'hui je copierai sur Montaigne, alors mon commentaire aura la légèreté d'un rire.<br /> <br /> J'aime beaucoup votre façon de nous raconter la philosophie en convoquant quelques philosophes comme à un banquet; nous écoutons leurs échanges philosophiques en nous détachant des conditions historiques, pour nous attacher à la belle histoire des idées et des personnages. Et la philosophie se fait vivante, à la fois profonde et amusante.<br /> <br /> Improbable rencontre d' Antiphon, de Freud ou de Montaigne, et pourtant la fête est joyeuse!
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