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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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6 avril 2013

PRESENTIFIER l' AUTRE BARRE

 

 

Dans les sociétés traditionnelles le chaman est supposé représenter le Grand Autre. Il communique avec les esprits, et de cette affinité il tire une efficacité symbolique (voir les analyses de Lévi-Strauss) qui lui permet entre autres choses de soigner et de guérir. Chez les Grecs de l'Antiquité la Pythie était censée révéler les intentions de la divinité. Platon évoque le délire, sous quatre formes, prophétique, mantique, poétique et érotique, toutes de nature à nous mettre en communication avec les instances souveraines. Empédocle se considérait comme un prophète, un mage, un médecin, un psychagogue. Ces déterminations de l'ancienne philosophie ont de quoi nous étonner, nous autres rationnalistes qui suspectons de supercherie toutes les conduites a-logiques. Mais dans tout cela il y a une logique, celle du rapport de l'homme avec l'Autre sous les espèces du mana, du tabou, des esprits, de la divinité, de la puissance transcendante. Bien sûr, chez nous, l'Autre s'est laïcisé, désacralisé. Mais ce rapport, nécessaire à l'humanité pour se fonder elle-même, existe toujours. Pour les croyants c'est la religion. Pour les autres c'est la philosophie, sauf à considérer les diverses "autorités publiques", médias, mode, qu'en dira-ton comme la forme moderne, plate et aplatissante du Grand Autre.

La psychanalyse se fonde sur une relation de parole adressée à un Autre, supposé savoir et garant de la vérité. Ce dispositif fait de la psychanalyse une aventure bien différente de la simple psychothérapie de conseil ou de soutien. Le psychanalyste représente pour le sujet un tiers - c'est à dire une personne échappant, de par la place qu'il occupe, à l'ordinaire relation duelle avec le semblable, l'ami, le père, le conseiller, le médecin et autres figures de la convention sociale. Il réfère la parole à l'ordre symbolique anonyme et constitutif de l'humanité, représentant de la loi fondamentale et de la préséance du langage. Position éminemment éthique - et non morale ou moralisante - s'il est établi que sa fonction n'est pas de guider selon une voie préétablie mais d'ouvrir le sujet au cheminement de sa vérité personelle. Le sujet est invité à faire le chemin qui lui permettra de s'y retrouver dans l'Autre, entendons dans l'ordre symbolique, par delà les identifications imaginaires et aliénantes.

Qu'en est-il du philosophe? J'ai souvent remarqué ceci : lorsqu'on me demande ce que je fais (qui je suis) et que je réponds : je suis philosophe, l'interlocuteur se récrie, s'étonne, manifeste une sorte d'embarras mêlé de considération et de respect, avec une pointe d'inquiétude. En saurais-je plus que lui? Serais-je capable de lire dans les pensées? Suis-je un original, ou fou, ou un génie? Ai-je la grosse tête? Serais-je prétentieux, fourbe, ou tout simplement différent? Toutes ces interogations défilent dans sa tête, et je le vois gêné, empétré dans un embarras manifeste. Et je puis, en miroir, me sentir gêné à mon tour, comme si dorénavant la conversation allait être plus difficile. Il n'y a que le philosophe ou le psychanalyste pour produire un tel effet de déroutement

Il y a quelque ressemblance entre le psychanalyste et le philosophe, confondus par le public dans une même étrangeté. Mais il faut débarrasser ces opinions de leur coefficient d"imaginaire. Ce savoir supposé est avant tout le fantasme du protagoniste qui attribue à l'autre ce dont il se sent dépourvu. Plus encore, il faut distinguer savoir et vérité : la philosophie est amour de la vérité, non du savoir. Le philosophe se doit, en toute logique, de présentifier le désir de vérité, portant le savoir à se dégager de ses prétentions, à se démettre dans une destitution subjective. Ce que faisait Socrate, mais incomplètement à mon goût.

Si le philosophe représente imaginairement le savoir il faut conduire le sujet, et le sujet philosophe au premier chef, à la reconnaissance du non-savoir, le psychanalyste dirait à la castration symbolique, pour découvrir que cet Autre qu'il est amené à présentifier est un Autre barré, aussi barré que l'est le sujet lui-même, et que la vraie relation de vérité s'érige dans le rapport du sujet barré à l'Autre barré, qui le fonde.

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