ICI et AILLEURS
De retour à Pau je me dis : "je rentre chez moi". Mais que signifie cette phrase "je rentre chez moi", et où est-ce donc chez moi? Je dirai c'est mon épouse, mes proches, mes amis, c'est mon appartement, mon bureau. Mais je sais aussi que ce n'est là que réponse conventionnelle, je sais, dans mon intimité, que je ne suis pas tout à fait ici. Et alors je me demande : fut-il un temps où j'étais parfaitement là où j'étais, sans aucune distanciation, sans rature ni approximation? C'était, sans aucun doute, l'enfance, et le jour où j'ai quitté ma région d'origine, j'ai su que l'enfance était finie, que même je ne retournerais plus jamais dans le lieu que j'ai quitté. Je me suis découvert apatride, éxilé, un temps comme ahuri par la rupture, puis de plus en plus souvent satisfait, soulagé, heureux. Je n'ai aucune nostalgie des lieux où j'ai vécu, pour raisons professionnelles, je ne me suis nullement installé, enraciné. Je n' ai pas de vraies racines, comme ces gens qui se sentent chez eux là où vécurent leurs parents, là où ils vivent eux mêmes, confiants et satisfaits. Et je ne peux jouer ce jeu un peu ridicule de me faire passer pour un Béarnais ou un Palois. Ici je vis, heureux d'y être, sans regret ni nostalgie. Mais cette localisation n'est pas un enracinement. Simplement, chaque jour je réitère silencieusement ma décision de vivre ici plutôt qu'ailleurs. Toujours il y aura un petit écart, une secrète fêlure qui me fera n'y être qu'à moitié. Quant à l'autre moitié c'est la part hors-demeure, hors convention, par quoi, comme les Anciens je suis citoyen du monde alors même que je me déplace de moins en moins, trouvant ici, aussi bien qu'ailleurs, de quoi nourrir mon amour de la vérité, et mon désir de partager ce désir avec autrui. Par un côté essentiel, inamovible, je suis et reste l'étranger, familier de l'inclassable, amant de l'insolite, poète du nulle part. Définitivement ailleurs au coeur de l'ici.