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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 décembre 2012

LE FILET de BRAHMA : Brahmajala Sutta

 

 

 

 

"Le filet de Brahma" (Brahmajala-Sutta) ouvre la série impressionnante des Grands Traités de Bouddha. C'est un texte fort long, assez pénible à lire en raison de ses innombrables répétitions de formules canoniques, mais d'un immense intérêt philosophique. Bouddha examine 62 théories successives portant sur des questions de métaphysique : l'univers est-il éternel ou non, ou les deux, est-il illimité ou limité, ou les deux, le soi est-il éternel ou périssable, qu'en est-il après la mort, que devient celui qui se libère après sa mort etc. Ce qui est remarquable c'est que l'auteur ne se situe jamais directement face à ces opinions, ne propose jamais de solution intellectuelle, ne se range jamais dans une catégorie mais déclare que les adeptes de telle ou telle théorie pèchent par méconnaissance : ils ont mal compris ce qu'ils professent, faute d'avoir examiné suffisamment leur propre motivation. Ainsi se trouvent-ils pris dans le filet, ligotés, enferrés.

Après chaque présentation de thèse Bouddha déclare : "Le Tathagata comprend cela, et il comprend bien davantage encore. Il ne s'attache pas à cette compréhension. N'étant pas attaché à cette compréhension il a connu en lui-même l'extinction. Ayant compris réellement l'émergence et la disparitioin des sensations, ainsi que leur saveur et leur désavantage, et le moyen d' y échapper, ô moines, le Tathagata est libre sans reste de substrats".

Au lieu de se situer sur le terain de la discussion théorique, de l'affirmation ou de la négation, Bouddha opère un déplacement radical : cherchez plutôt à comprendre la naissance, la valeur, la nocivité des sensations, et leur disparition. Etrange stratégie, fort déroutante pour un philosophe formé à l'école des Grecs! Pourquoi ce retour aux sensations? Et en quoi l'observation des sensations fournirait-elle un critère pour juger des spéculations théoriques? Remarquons qu'Epicure ne procède pas autrement : il faut, selon lui, qu'une théorie ne soit pas contredite par l'expérience sensible pour jouir d'une validité philosophique. Mais Bouddha est plus radical : il ne s'agit pas tant de forger une image vraisemblable de la réalité que de se détacher de toute opinion spéculative : toute opinon de ce genre est un carcan mental (un filet), qui, loin de faire avancer vers la libération produit de nouvelles passions. Par là Bouddha est proche de Pyrrhon : suspendre, voire supprimer notre passion spéculative. La liberté mentale est au delà. 

La vraie raison de ce retour à l'examen des sensations est donnée plus loin : les gens spéculent sur le passé de l'univers, sur l'avenir, sur la vie après la mort etc  "en raison de l'ignorance et de l'aveuglement : leur expérience n'est autre qu'une excitation et qu'une contorsion de gens qui se sont adonnés à la soif". Voilà qui tombe comme un couperet, et, soit dit en passant, comme une trouée dans le filet des opinions.

Ainsi donc la soif de connaissance métaphysique est un symptôme de l'avidité (la soif), un déplacement de l'avidité originelle vers des buts plus sublimes, une "sublimation intellectuelle", en termes freudiens, qui dénote un attachement originaire à l'objet oral. Avidité de l'avoir, quels qu'en soient par ailleurs les formes et les contenus.

Suite de l'analyse : le désir passionnel, à son tour est rapporté à une condition antérieure : le contact sensoriel. "Tous ces samanas et brahmanes éprouvent une sensation agréable devant leurs opinions par le contact dans le domaine des six sphères sensorielles (la vision, l'audition, l'olfaction,  le gôût, le toucher, le contact mental)". Suit la coproduction conditionnée : sensation, soif, attachement, redevenir, naissance, décrépitude, mort, lamentations, peines, douleurs, chagrins, désespoir. 

Nos opinions ne sont que travestissements d'intérêts passionnels, de fixations mentales, d'attachements pathologiques, ou, pour parler moderne, de fantasmes. Voilà pourquoi il faut revenir à l'examen des sensations. Toutes nos constructions mentales se sont développées sur la base de la sensation : éprouvant du plaisir nous avons construit de toutes pièces un édifice sensoriel-émotionnel-représentatif destiné à reproduire l'agréable et éviter le désagréable : un filet de conduites, de paroles et d'idées où nous nous sommes enferrés nous-mêmes, une grille d'interprétation qui nous tient lieu de réalité. A sa manière chaque humain est un doux délirant qui méconnaît le réel et lui substitue ses projections conscientes et inconscientes.

"Cependant, ô moines, si un moine a compris selon la réalité l'émergence et la disparition des six sphères sensorielles, leur saveur et leurs désavantages, et le moyen d'y échapper, alors il comprend un fait situé au dessus de toutes ces choses".

Ce fait c'est le point nodal : toutes les représentations se sont constituées à partir d'une expérience originelle d'attachement. Tout le reste en découle (voir mon article "Le point Nodal" du 26 dec). Pourquoi la libération est-elle possible, et dès cette vie? Parce que tout ce qui a la nature de l'apparition a la nature de la disparition". C'est la bonne nouvelle de Bouddha.

 

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Tathagata : un des innombrables termes laudatifs. Tathagata : celui est qui est ainsi, l'ainsi venu, l'ainsi parti. Un terme aussi vide que possible pour signaler l'absence de fixation mentale. Vacuité de la perfection "sans substrats".

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