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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 novembre 2012

LA VOIE du MILIEU

 

 

 

 

 

« Lorsque quelqu’un observe l’émergence du monde, il n’est pas piégé par l’idée selon laquelle le monde n’existe pas. Lorsque quelqu’un observe l’évanouissement du monde, il n’est pas piégé par l’idée selon laquelle le monde existe. Dans l’univers, Kaccayana, il existe deux points de vue extrêmes : celui de l’être et celui du non-être. Le Tathâgata, quant à lui, n’est pris dans aucun point de vue. Il enseigne le Dharma de la Voie du Milieu ». (Samykuta Agama 301).

Double rejet : du point de vue éternaliste, et du point de vue nihiliste. L’éternalisme, comme dans la théorie de Parménide, consiste à soutenir la réalité de l’Etre, affirmant que l’être est, nécessairement identique à soi, stable, immuable, éternel. Cette position conforte à titre de conséquence la croyance en une substance du moi, identique à travers le cycle des réincarnations. Même si on rejette la croyance  en la réincarnation on dispose encore de cette aimable certitude de l’identité et de l’immutabilité du moi, ou du sujet, laquelle est un obstacle majeur à la compréhension de l’impermanence. Or le moi ou le sujet est « une notation commode » qui dissimule la non-substantialité de toute chose. L’évanescence du monde signale sans conteste l’erreur de la position éternaliste.

Le nihilisme, à l’inverse, consiste à conclure  que rien n’existe, ni le monde, ni le moi, toute chose glissant sans remède dans le néant, affirmation dangereuse heureusement réfutée par l’expérience : les choses apparaissent, ne cessent d’apparaître, le monde se renouvelle aussi sûrement qu’il se défait. Je ne puis soutenir qu’il n’y a rien si chaque expérience, à chaque instant, démontre le contraire ; je ne puis davantage prétendre que je n’existe pas. Toute la difficulté est de poser qu’il n’y a pas rien sans que pour autant il faille soutenir une idée de l’être : ni être ni non-être.

Héraclite disait : « nous sommes et nous ne sommes pas ».

Montaigne, à sa suite : « nous n’avons aucune communication à l’être ».

Ni l’un ni l’autre n’en concluent au non-être.

Bouddha, Héraclite et Montaigne cherchent à dire le vrai hors du principe du tiers exclu : entre A et non-A  il n’existe pas de tierce possibilité.  La Voie du Milieu, précisément, et c’était également la position de Pyrrhon, affirme qu’il  existe une troisième possibilité :

Ni A (l’être)

Ni Pas A (le non-être)

Ni à la fois A et pas A (ce qui renverse la position d’Héraclite)

Ni pas à la fois A et non-A

D’où il résulte en effet que « le Tathâgata  n’est pris dans aucun point de vue ». La Voie du Milieu n’est pas une position intermédiaire entre deux extrêmes, un mol accommodement de la contradiction, une synthèse boiteuse des contraires, mais une position tout-autre, hors de tout point de vue possible, extérieur à toute pensée différenciante et conceptuelle. Plus radicalement, il s’agit de dynamiter l’opération de la pensée, de faire exploser toutes les catégories logiques, de changer totalement de paradigme, de mener l’impétrant vers la seule question qui compte : rompre le cercle fatal de la souffrance et de la répétition.

A quoi cela peut-il bien servir de s’accrocher à l’idée de l’être, de se garantir imaginairement, par la fabulation du moi, contre l’évanescence inévitable, la vieillesse et la mort ? Et à quoi bon ce mirage du non-être, ce déni de l’évidence sensible, puisqu’il est patent que nous percevons et que nous souffrons ? Dérisoires recours,  pitoyables constructions imaginaires pour occulter la loi de nature ! Dans ce fallacieux concours de fausses nouvelles la thèse nihiliste est encore la pire : ici le déni du réel est si puissant qu’il est bien difficile de redresser l’entendement.

On risque fort de mal entendre cet enseignement, et de confondre la vacuité avec la thèse nihiliste. Mais la vacuité n’est pas le non-être, ni le néant, ni le rien. La vacuité c’est l‘inexistence d’une substance stable et permanente qui définirait chaque chose, et le moi, sous les espèces de l’éternité. C’est la découverte que l’essence est une production de notre esprit, une chimère de désir, une construction mentale destinée à chasser notre angoisse, un remède contraphobique, une « idée-refuge » dont la « vacuité » apparaît très évidemment dans la méditation silencieuse et méthodique. Que ceux qui ne peuvent vivre qu’à cultiver ce fantasme le conservent. Mais le chercheur de vérité acceptera de traverser l’épreuve, se sentira allégé en découvrant l’impermanence universelle, y verra une source de joie sereine. Après tout, si les choses sont impermanentes, dépourvues de soi, la douleur, elle aussi pourra passer : « tout ce qui s’est composé peut se décomposer » se dira –t-il, et il en tirera une raison supplémentaire de se réjouir, encouragé à approfondir la recherche.

Nous vivons dans la représentation, non dans le monde tel qu’il est. Entre nous et le monde nous interposons nos catégories, nos concepts, décrivant, découpant, classant les choses selon nos besoins (Bergson), nos désirs(Freud), nos espoirs et nos craintes, forçant la nature à délirer avec nous (Spinoza). Tout cela est un peu ridicule. Et nous délirons plus encore en nous statufiant nous-mêmes dans l’image d’un moi miraculé (Montaigne), exhibant  nos idéaux de paille à la voûte du ciel ! Présomption, orgueil et misère (Pascal). - On voit que nos penseurs classiques ne sont pas en reste. Cela devrait nous inciter à relire les grands textes bouddhiques. De fait ils nous sont extrêmement proches, de cette proximité singulière qui trouble, et qui éclaire.

 

 

 

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Commentaires
E
Et moi de (re)lire les classiques...La rencontre de l'intelligence et de la sagesse d'ici et de là-bas c'est mon voeu le plus cher .Et puis avoir l'humilité de s'assoir... et voir calmement les choses telles quelles sont, voilà, à notre époque déchainée un acte héroïque et subversif !<br /> <br /> Embrassons le réel sans peur ni espoir !
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