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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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12 novembre 2012

Du CHEMIN de VERITE

 

 

 

 

 

« Dans ce corps même, long de quelques coudées, contenant l’esprit et ses perceptions, je fais connaître l’univers, son origine, sa cessation et le moyen menant à sa cessation » (Rohitassa Sutta).

Remarquable, insuffisamment remarquée, cette insistance à partir de l’observation du corps, comme lieu privilégié de l’attention. « Ce corps, long de quelques coudées… », ce corps infime face à l’immensité de l’univers. C’est du corps que l’on part pour entreprendre le grand voyage d’exploration. C’est dans le corps que l’on respire, que l’on éprouve les sensations, en liaison avec l’esprit, qui élabore les perceptions, les constructions mentales, les concepts et tout l’univers des représentations. L’attention à la respiration permet de saisir le lien entre le corps et l’esprit dans la naissance, la durée, l’intensité, et la cessation des sensations.

L’univers dont parle le texte est-il l’univers physique, ou bien l’univers de la représentation ? Bouddha ne nous incite jamais à explorer scientifiquement l’univers physique. Il écarte résolument les spéculations sur l’éternité ou la non-éternité de l’univers, sur ses limites ou ses non-limites, estimant que ce ne sont là qu’opinions dépendant d’autres opinions, constructions mentales sans fondement, « une chose composée, une chose imaginaire, une chose qui dépend des autres choses » (Anâthapindika Sutta). Ces opinions, et bien d’autres semblables ne peuvent faire progresser sur la voie, ne font qu’engendrer des conflits. On peut rapprocher cette idée de celle de Pyrrhon qui prône la suppression pure et simple des représentations, condition absolue de l’ataraxie. Car l’ « épochè » pyrrhonienne n’est pas, comme chez les Sceptiques ordinaires, une suspension du jugement, une abstention quant à l’invisible ou l’indécidable (je ne sais pas si le miel est doux, je ne connais pas sa nature, je me contente de constater qu’il me paraît doux), mais la résolution héroïque de ne pas penser quoi que ce soit sur la nature des choses, étant par nature inconnaissables, injugeables, imprédictibles. Le regard de Bouddha se détourne des choses, pour se concentrer sur la manière dont nous éprouvons les sensations, construisons nos représentations, nous enferrons nous-mêmes dans nos conditionnements mentaux. Tant qu’existe en nous l’ «univers » des opinions et des représentations nous n’avons aucune chance de rencontrer quoi que ce soit de réel, ni hors de nous, ni en nous. Et dès lors si un « réel » surgit ce ne peut être que sur le mode du trauma. Alors apparaît la fracture insupportable entre ce qui nous croyions être (sécurité illusoire, permanence imaginaire) et ce qui est.

Cette démarche nos invite à repenser  le statut de la philosophie. Bouddha et Pyrrhon expriment l’exigence absolue d’une pensée sans opinion, à supposer que cela soit encore une pensée. Un délestage radical, sans concession, sans reste, un curetage intégral : ni convention, ni tradition, ni croyance, ni jugement, ni préférence, ni rejet, ni construction, ni doctrine, ni espérance, ni foi, rien que la pure et simple présence au présent des choses, dans une « silencieuse coïncidence ». Tout ce que nous imaginons, évaluons, attribuons, retirons est le fruit de nos passions d‘exister, de la « soif » de maîtriser, de ranger le monde à notre convenance, pour sauver l’illusion de la permanence.

Une philosophie sans aucun reste idéologique. On se demandera : que reste-t-il de Platon, d‘Aristote, de Schopenhauer ou de Nietzsche, une fois opéré ce travail de décantation ? Presque tout ce que nous admirons ou détestons dans ces auteurs se voit de la sorte expurgé, ramené à l’opinion, au préjugé, à la « maladie de l’âme ».

Je ne sais si ce travail est vraiment possible. Mais il est indispensable. C’est le chemin lumineux et difficile. A de certains moments, trop rares, nous sentons bien que c’est le chemin de vérité.

 

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Commentaires
S
Quelle vérité ! On pense a toute la tradition phénoménologique ..... À Merleau Ponty ...<br /> <br /> Si seulement on pouvait accéder a la pure sensation, la pure connaissance sans jugements ...Sans a priori .... Sans représentations.... <br /> <br /> Merci pour ce texte !
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